Les entra??nements s???encha??n??rent aux courses et vice-versa. Un samedi sur deux, Agathe-Agla?? conduisait Lola dans sa petite kangoo, sur les routes d???Ile de France. La musique joyeuse des ??les ?? tue-t??te, la bu??e d???hiver sur les vitres closes, les fou-rires, les demi-tours au milieu des villages, quand le tomtom les ??garait entre deux d??partementales oubli??es, les plats de spaghettis aval??s dans des auberges seventies, aux saveurs d???un vieux film en noir et blanc, des petits bois enneig??s, aux chemins glissants, des routes caillout??es sur lesquelles il ne fallait pas tomber, des courses annul??es, des dossards sans num??ros, des arbitres en pyjamas, tir??s d???une grasse matin??e agit??e par une horde d???adolescents en baskets, des trac??s al??atoires, aux contours de craie d??lav??s par les intemp??ries, ou qui se perdaient sous les feuilles mortes. Chaque course ??tait unique. Riche. Une aventure en elle-m??me. Lola croisait des visages, parfois les m??mes, parfois diff??rents. Certains souriaient, d???autres restaient renfrogn??s. On ??changeait des adresses, parfois, quand la solidarit?? dans la mont??e d???une c??te glissante et raide, ou la r??ussite d???une ??chapp??e ?? deux, rendait l???effort collectif et amical. Lola s???aguerrissait. De sa premi??re victoire, elle gardait un souvenir amus??, plut??t qu?????mu, car, inscrite sur un cross mineur, alors que des comp??titions plus importantes se d??roulait ce samedi-l??, elle n???avait eu pour adversaires qu???une poign??e de filles du village, sympathiques, mais peu rapides. Elle avait fait la course loin devant, sans forcer, et la m??daille qu???elle y avait glan??e ne brillait pas d???un ??clat suffisant ?? ces yeux. Mais d???autres courses l???avaient vu vaincre des adversaires de taille, des comp??titeurs habitu??s aux honneurs, qui ne reconnaissaient plus la fr??le Lola des premi??res semaines. Ses mollets s?????taient fusel??s, ses cuisses s?????taient durcies, ses bras devenaient des ailes.
Au retour des beaux jours et des courses sur piste, Lola portait fi??rement sur ses ??paules le souvenir de Hab??lard. Mieux que ses adversaires, elle humait l???atmosph??re, sentait le vent, mesurait l???humidit??, l?????lectricit??, les ondes cosmiques, elle regardait le ciel, savait reconna??tre dans le creux des masses nuageuses le visage de la course, lisait dans une rang??e d???arbres et un vol d???hirondelles le contour des ??chapp??es, elle s???accrochait au sol, elle s???enroulait avec la corde, elle laissait venir et acc??l??rait dans l???embuscade, elle restait sur les talons des meneurs, les fatiguait de son souffle in??puisable et les asphyxiait, dans un coup de rein rageur, en plein effort, les laissant loin derri??re, en apn??e, suffoqu??s, ?? l???agonie. Lola vivait les courses. Agathe-Agla??, samedi apr??s samedi, coupes apr??s coupes, m??dailles apr??s m??dailles, s?????tonnait d???avantage de la transfiguration de sa prot??g??e. D??j??, les Nouvelles de Versailles aimaient titrer chaque lundi, dans leur page sport, les exploits de la jeune fille. Au coll??ge, les autres professeurs lui souriaient. Les filles la saluaient. Certains gar??ons, m??me, s???approchaient d???elles, ??tonn??s de cette fille plate et mal v??tue, aux allures un peu gauche, qui s???octroyait peu ?? peu la lumi??re de la cour de r??cr??ation.
Illustration de Coq (c)