Depuis « Où est la maison de mon ami ? » en 1987, et le très beau « Goût de la cerise » dix ans plus tard, j’essaie de ne jamais manquer les films d’Abbas Kiarostami, réalisateur iranien. Aussi quand la Cinémathèque a annoncé une projection en avant-première (réservée aux abonnés) de son nouveau film, « Shirin », je n’ai pas hésité. C’est ainsi que j’ai pu voir un des plus étranges objets cinématographiques qui soient.
Je n’avais pas idée du sujet du film avant d’y aller. Sur la base du titre, j’avais simplement subodoré que cela pouvait avoir un rapport avec l’ancienne légende persane « Khosrow et Shirin », et c’est effectivement le cas, mais de quelle manière ! Il est très facile de résumer le thème du film. Dans une salle de cinéma, une centaine de femmes regardent un film tiré de la légende, film dont nous ne voyons aucune image, nous entendons seulement la bande-son. Tout ce que nous voyons, ce sont les visages des spectatrices, en gros plan, une à la fois le plus souvent, deux parfois, et les émotions qui s’y reflètent. C’est tout.
image du film : source
Pendant les premières minutes, à moins de connaître déjà le « concept » du film, on se demande comment cela va tourner. Et puis on comprend que cela va tout simplement continuer de même jusqu’à la fin. Personnellement, j’ai oscillé entre l’ennui et la fascination. Par moments, j’étais tellement emportée par l’expression fugitive d’un visage que je partais dedans et que j’oubliais de lire les sous-titres, perdant le fil de l’histoire. Celle-ci est pourtant simple (enfin, je m’entends : pleine de péripéties compliquées, mais simple dans son principe) ce qui était nécessaire pour le propos poursuivi.
Miniature du Smithsonian Institution,
Freer & Sackler Gallery
Khosrow découvre Shirin se baignant (1548)
image Wikipedia
La légende a pour thème l’amour du roi sassanide Khosrow II (les Sassanides ont régné sur l’Iran du 3e au 7e siècle de notre ère) pour la princesse arménienne Shirin. Elle raconte la conquête de Shirin par Khosrow et la manière dont il évince son rival Farhad et le contraint à s’exiler dans la montagne de Béhistoun pour y devenir tailleur de pierre. Shirin finit par consentir à épouser Khosrow après de nombreux épisodes héroïques, comprenant notamment celui où Khosrow la sauve des griffes d’un lion qu’il tue à mains nues. L’histoire se termine par la mort de Khosrow, je n’ai pas bien compris dans quelles circonstances.
Cette légende se trouve à l’origine dans le grand poème épique de Shahnameh et a été ensuite reprise par de nombreux auteurs persans, dont Nezami au 12ème siècle. Le poème composé par Nezami ou Nizami Ganjavi (1141 – 1209), dont le nom complet est Nezam al-Din Abu Mohammad Elyas Ibn Yusuf Ibn Zaki Ibn Mu’ayyad Nezami Ganjavi, comprend plus de 6500 distiques. Nezami est également l’auteur d’un poème sur la légende de Layla et Majnoun.
Le Shahnameh ou Shâh Nâmeh (“Livre des Rois”) est un énorme poème épique écrit vers l’an 1000 par le poète persan Ferdowsi. Il rapporte le passé historique et mythique du pays depuis ses origines jusqu’à sa conquête par l’Islam au 7e siècle. Avec la conquête arabe, la langue pahlevi, l'ancien perse, parlé au temps des Sassanides, disparut des documents écrits au profit de l'arabe. Ce n'est qu'au 9e siècle que cet idiome réapparut, sous un nouveau visage : le persan, résultant en fait de la transformation orale du pahlevi, qui resta couramment parlé bien qu'il ne fût pas écrit, et s’enrichit de mots arabes. Ferdowsi, en utilisant le persan dans un texte aussi considérable que le Shâh Nâmeh, signe véritablement l'acte de naissance de cette langue, et pour cette raison il occupe une place importante dans la littérature persane.
Fuligineuse
NB : Je ne suis pas spécialement experte en littérature persane et cette note doit beaucoup à la Wikipedia, surtout la version anglaise dont les articles sont souvent beaucoup plus riches que ceux en français.