Trois siècles de littérature à bride abattue

Publié le 18 décembre 2008 par Lauravanelcoytte

Quelle forme identifiable les écrivains ont-ils donné au hasard ? Tout simplement l'un de ces nombreux carrosses qui sillonnent les romans du XVIIIe siècle, continuent à jouer un rôle non négligeable chez Balzac, Nerval, ou Flaubert, et connaissent enfin leurs dernières aventures avec Swann chez Proust ou Mrs. Dalloway chez Virginia Woolf.

L'objet paraîtra bien anecdotique... Carsten Meiner n'hésite pourtant pas à parcourir à bride abattue plus de trois siècles de littérature, pour y observer les métamorphoses du "carrosse littéraire", depuis les chars célestes hérités de la mythologie jusqu'aux attelages modernes que l'automobile a définitivement remisés au musée des moyens de locomotion.

D'autres termes étaient possibles, il y avait l'embarras du choix. Mais coche, diligence, fiacre, calèche, coupé, malle-poste, berline, "désobligeante" (ainsi nommée parce qu'elle n'accueille qu'un seul passager) offraient des variantes de ce que "carrosse" désigne globalement : une "caisse fermée à deux fonds, deux sièges pour quatre personnes, deux portières et une suspension efficace".

Pour quelles destinations ? Toutes. Car le carrosse littéraire, capable de conduire les héros là où les appellent les besoins de l'histoire, est un espace propice à toutes sortes de rencontres ou d'incidents. Véritable convention romanesque, les voitures hippomobiles donnent lieu à ce que Crébillon fils nomme des "aventures de carrosse", aussi bien qu'aux plus fâcheuses mésaventures. Dès les premières pages de La Vie de Marianne, l'infortunée héroïne de Marivaux devient orpheline au cours d'une attaque, et dans les Rêveries du promeneur solitaire, Rousseau rapporte un célèbre accident provoqué par le passage d'un carrosse - souvenir de la non moins célèbre chute de Montaigne et source, à son tour, d'une longue série d'autres culbutes littéraires.


RISQUES ET PÉRILS


Lieu de rencontre, occasion de socialisation et moyen de fuite, le carrosse fait bifurquer l'existence des personnages. A leurs risques et périls, comme l'apprend la religieuse de Diderot, fuyant son couvent dans un fiacre apprêté par un bénédictin : offerte aux ardeurs de son jeune protecteur, la religieuse malgré elle ne peut que regretter sa cellule : "Quelle scène ! Quel homme ! Je crie..."

Et si Emma Bovary rêve encore des hasards que promettent les fiacres, la réalité se révèle plus sordide lors de cette course sans but où Emma et Léon parcourent Rouen dans une voiture aux rideaux tirés : symbole d'un adultère coupable, le fiacre flaubertien ne conduit plus nulle part. C'est encore ce même carrosse qui suscitera l'une des dernières grandes passions qu'aient abritée les voitures hippomobiles : celle de Swann et d'Odette, tout occupés à "faire cattleya". Mais, comme chacun sait, il y avait dès le départ erreur sur le genre...


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Le Carrosse littéraire et l'invention du hasard de Carsten Meiner
PUF, 248 p., 19 €.