Hommage à l’adorable ringard
La scène se passe un de ces étés derniers, aux arènes de Vérone. Le public, composé pour majorité de retraités allemands, finit de s’installer sur les gradins, lorsqu’une rumeur croissante les parcourt, signalant qu’IL vient d’apparaître dans cette loge d’honneur, tout là-bas. Mais qui ça ? Le Cavaliere en personne ? Que non pas : l’Inspecteur, notre cher Derrick. Alors l’assistance de se lever comme une seule et de gratifier le flic le plus ringard et le plus attachant du fenestron, après Maigret et Columbo, d’une longue Standing Ovation…
Ringard, Derrick ? En apparence en tout cas : on ne fait pas mieux dans le genre pied plat petit-bourgeois, entre chef de bureau ou cadre supérieur moyen, disons : neutre. Ne buvant guère ni ne se droguant à vue, sans femme qui lui prépare le frichti de Maigret ni penchants culinaires comme le Chili de Columbo.
Or c’est à proportion de cette neutralité à lunettes disgracieuses, imper trop bien repassé, stature de plantigrade colossalement mou, donc rassurant, que le cher Horst Tappert, rescapé de la famille Trapp (autre hit de notre enfance), est bel et bien devenu le troisième homme de la trinité angélique des séries policières, avec Maigret et Columbo, avant le Renard (qui vient de changer de visage, soit dit en passant) et très au-dessus de concurrents léchés à la française (Navarro ou Julie Lescaut), sans parler des pauvres Xperts.
Le secret du succès de ces trois Zéros ? A l’opposé, précisément, des insipides Xperts technocrates : la pâte humaine. Non seulement de l’inspecteur, mais également de son ami Harry, plus qu’un seul faire-valoir, des personnages souvent très bien dessinés, qu’endossent des comédiens non moins typés, au service d’un scénario sérieusement filé, certes moins richement élaborés que ceux de Columbo, moins poreux aussi que ceux de Maigret, mais qui ne modulent pas moins une image de la société contemporaine avec plus de nuances et de surprises que les séries françaises si politiquement correctes et si lisses de facture…
Contrairement aux épisodes de Julie Lescaut ou de Navarro, ceux de Derrick, autant que ceux de Columbo, peuvent se voir et se revoir. L’esthétique en est assez affreuse du point de vue visuel, le moralisme sentencieux de l’inspecteur bavarois souvent pesant, et pourtant on l’aime bien, Derrick, il découvre les turpitudes humaines avec autant d’étonnement indigné que le spectateur moyen, et sa façon d’agir, sans trop d’armes brandies – juste quand « ça craint » - avec son flair et son feeling (comme lorsque Peter Falk renifle son coupable dès son apparition) a tout pour satisfaire l’homme ordinaire en chacun de nous…
Dernière affaire
…Non, ce pays n’est plus pour le vieil homme, avait conclu l’Inspecteur au terme de la dernière affaire de sa carrière de défenseur de l’ordre moral bavarois, la plus sordide à vrai dire, où l’Innocence s’était trouvée souillée de la plus vile façon, au cœur de la cité, par celui que les médias, dès le lendemain de son arrestantion, appelèrent le Pervers à la Hotte…
Les Adieux
…A la fin de la soirée d’adieux à l’Inspecteur, tous ses collègues de la Criminelle, Harry en tête, accompagnèrent leur vieil ami au seuil de la taverne d’où ils le virent s’éloigner seul, une dernière fois, en direction des Jardins du Margrave, or voici que, peu après sa disparition mélancolique au bout de l'allée, ce furent les traces de deux individus qu’ils avisèrent là-bas, et tout aussitôt les limiers de s'interroger: mais qui donc, Gopverdammi, accompagnait le patron vers l'Autre Monde - et qui d’autre pourrait jamais résoudre cette énigme que lui et lui seul, qui n’y était plus pour personne ?...
Images : Philip Seelen