Les faux spécialistes

Publié le 26 décembre 2008 par Dalyna

Depuis que le monde est monde, ou plutôt depuis que la télé est télé, une caste est apparue sur nos écrans. Elle a pris de plus en plus d’ampleur jusqu’à devenir presque omniprésente : celle des « faux spécialistes ». Un évènement survient ? On va de ce pas interviewer, non pas le chercheur le plus habilité à nous éclairer, mais plutôt la personne au bon profil médiatique, c’est-à-dire celle qui passe mieux en TV, qui n’est pas stressée par les caméras, au discours clair et concis.

Je n’ai rien contre ces intervenants permanents, mais j’aimerais juste éviter l’overdose si c’est possible. Voir toujours les mêmes, redire la même chose, cela devient vite usant et, surtout, je trouve dommage que l’on favorise la « bogossité télévisuelle » au détriment du fond du discours.

La notoriété a tué le scientifique

Vous connaissez Ariane Massenet ? L’ancienne complice de Fogiel et actuelle co-animatrice du « Grand Journal » de Michel Denisot ? Pour la décrire, on peut dire aussi : celle qui est censée rendre le débat plus accessible au français moyen et qui n’hésite pas, quand un homme politique parle budget de l’Etat, à lui demander soudainement « euh sinon, Frosties de Kellogg’s ou petits croissants au petit déj’ ? ».

Oui, cette Ariane Massenet là, eh bien figurez-vous qu’elle nous avait caché un truc derrière ses questions neuneus : il semble qu’elle soit, sinon psychiatre, au moins psychologue (de bazar). Ben oui, en 2006, elle sortait un livre avec sa soeur, sur les relations mères-filles, intitulé « Mères & filles, ce que je voudrais te dire ». Je vous laisse apprécier la quatrième de couverture :

Qui n’a jamais rêvé d’un vrai moment de dialogue avec sa mère ou sa fille ? Ariane et Béatrice Massenet ont provoqué des conversations rares entre mères et filles célèbres. Pour la première fois, elles se confient, souvent avec émotion et humour, révélant toute la force de ce lien unique.

Ça vous met l’eau à la bouche, hein ! Pour la somme modique de 29 euros, nous pouvons lire un ramassis de témoignages, tous plus émouvants les uns que les autres, sur les relations mères-filles. Oui, mais apprendre que Sarah Duperey, fille d’Anny, a été apaisée quand sa maman a écrit un récit autobiographique, ou en savoir plus sur la complicité entre Stéphanie et Marie Fugain à la mort de Laurette, ou encore que Nicole Courcel a eu du mal à accepter les 35 ans d’écart entre sa fille Julie Andrieu et son petit-ami, au fond, est-ce que cela nous fait apprendre quelque chose sur les relations mères-filles ? Je crains que non.

Dans un autre registre, mais la même thématique des usurpateurs, un journaliste météo nommé Pascal Hernandez est invité sur France Bleu pour son livre intitulé : « Météo, mode d’emploi ». Ce journaliste était la voix du jeu TV de France 5 « 100 % questions » avant de travailler pour la chaîne Météo. Je veux bien comprendre qu’il ait besoin de gagner sa vie et je dois reconnaître que je ne le place pas au même niveau d’Ariane Massenet, mais tout de même. Un auditeur téléphone à France Bleu pour demander l’explication scientifique d’un phénomène météorologique, et Hernandez répond : « Je précise que je ne suis pas météorologue, et ne peux donc pas répondre à la question ». Ben oui, mais si t’es pas météorologue, pourquoi sortir un livre sur le sujet ? Il répond que c’est une passion qu’il a depuis toujours. Oui, mais bon, si je suis passionnée de médecine, je ne vais quand même pas sortir un bouquin là-dessus sans avoir le diplôme requis, juste parce que « J’adooooooooore l’anatomie ».


Un spécialiste d’abord… journaliste

Heureusement, les spécialistes n’ont pour autant pas complètement disparu des écrans. En effet, parallèlement aux « faux », il y a malgré tout de véritables scientifiques qui apportent leurs lumières dans les débats et sujets télévisés. Mais le problème, cette fois-ci, est qu’ils passent tellement à la télévision qu’on se demande si la carte de presse n’a pas remplacé celle de leur activité initiale.

Stéphane Clerget, pédopsychiatre

Ainsi, quelqu’un comme Stéphane Clerget, pédopsychiatre de son état, n’est sans doute plus très actif en cabinet. Et pour cause… A chaque débat télé ou fait divers portant sur l’enfance, ou les relations parents-enfants, vous pouvez être sûr de le voir intervenir pour nous expliquer les dessous de ces conflits. Ce pédopsychiatre, c’est simple, j’ai l’impression qu’il fait partie de ma famille tellement j’ai dû le voir : dans tous les talks-shows, les JT, les reportages, tout, tout, tout, et partout.

Patrick Pelloux

Mais il ne s’agit pas que de Stéphane Clerget et la psychiatrie de l’enfance. Tous les secteurs sont touchés. Un problème dans le milieu des médecins ? Et cette fois, c’est Patrick Pelloux à la rescousse ! Vous savez, le médecin urgentiste qui avait tiré la sonnette d’alarme lors de la canicule. Et bien depuis la canicule, il est devenu le SEUL médecin urgentiste de France. Si, si, je vous assure, y en a pas d’autres. Dès qu’un évènement touche de près ou de loin le milieu médical, c’est lui qui intervient. Il parle bien, il est plutôt beau gosse… alors on ne cherche pas plus loin. Vous me direz, il est Président du syndicat des médecins urgentistes Amuf. Certes, mais à le voir intervenir comme chroniqueur sur France 5, à la radio, ou encore chez Charlie Hebdo, je ne saurais dire s’il est médecin ou journaliste. Lui non plus, avec toutes ces activités, il ne doit plus être trop souvent à l’hôpital… A moins qu’on ait des semaines de 10 jours, et que je ne m’en sois pas aperçue.

Ce matin encore, dans la triste affaire du petit enfant décédé des suites d’une erreur de médication à l’Hôpital Saint-Vincent-de-Paul, c’est Patrick Pelloux qui dénonce la garde à vue de l’infirmière (ce à quoi j’adhère), mais qui en profite pour parler de « responsabilités politiques », alors qu’on ne sait pas encore exactement ce qu’il s’est passé. L’erreur humaine est si difficile à envisager dans notre société dressée au principe de précaution.

L’usurpation pour vendre

Qu’Ariane Massenet sorte un livre de témoignage sur SA relation avec SA mère, et d’autres filles célèbres, c’est une chose. Idem pour Patrick Hernandez, il est fan de météo, soit, il n’a qu’à sortir un livre intitulé « J’adore la météo », ou « Ma passion : la météo ». Bref, le lecteur doit comprendre au premier coup d’œil de quoi il s’agit réellement.

Mais que l’on présente ces livres comme des bouquins scientifiques, écrits par des professionnels, c’est là que je dis qu’il y a tromperie. Intituler son livre « Météo, mode d’emploi » sous-entend que l’on achète un livre de professionnel, scientifique, qui va nous expliquer par a + b les phénomènes météorologiques. Or, ce n’est pas le cas. Voir ce livre en tête de gondole, tandis que celui du véritable pro duquel nous aurions appris beaucoup plus est dans un coin au milieu de toiles d’araignées ne me paraît pas normal. Cela étant, le seul bon côté, c’est que tous ces livres aux gros tirages, basés sur la notoriété permettent par la même de financer les autres, touts petits, inconnus du public, aux mêmes titres mais… un peu trop à l’abri de la lumière des projecteurs.