Magazine Journal intime

Faune ardent ?

Publié le 30 décembre 2008 par Thywanek
Toi. Tu courais. Tu filais. Tu te faufilais. Tu t'échappais. Léger. Diaphane. Discret. Semant partout derrière toi un parfum de ton passage. Un air distillé d'une encre solaire. Une fine sueur diaprée en suspension. Une trace dont tu as accumulé en lui, dans sa chair, jusque dans ses plus intimes interstices, une permanence inépuisable.
Dans les membranes aux fibres tendues. Autour des vaisseaux de rouge fer liquide. À travers les canaux électriques. Sous le dôme bouillonnant. Dans la gelée des phares.
Il pouvait te sentir, tu sais, au bout d'un doigt détaché. Tu balançais un pas, du haut de ses reins, pour qu'il te coure après. Tu t'allongeais sur son diaphragme éteint. Et il arrivait que tu doives te débattre pour franchir une serrure dans sa nuque engourdie.
Tu l'enlevais du réduit où on l'assignait, certains temps plus noir que d'autres, et d'où il ne devait plus assister à ce qui vivait que comme s'il était mort. Tu l'attirais alors de l'intérieur. Tu le faisais se retourner en lui, s'inverser de telle manière qu'il ne demeurait pour l'extérieur que l'enveloppe inerte, aux regard fixe, d'un vague objet humain ignoré. Tu le conduisais au bord d'un gouffre sans margelle et, lui tenant fermement la main, tu l'invitais à y plonger, pas trop loin de l'ouverture, au début, puis chaque fois plus profondément.
Tu lui apprenais à concevoir un monde contre le monde qui se refusait à lui. Qu'on lui refusait. Tu mettais des forêts entre ses mains. Tu appelais sur son visage des milliers de fourmis caressantes. Tu enfonçais progressivement son corps sous les flots. Tu l'obligeais à cracher et à relire. Tu lui montrais comment saigner les pierres pour les faire parler. Comment dormir non plus d'est en ouest mais de la terre au ciel. Comment contenir dans un simple objet, peut-être même ordinaire, une vie sans commencement et sans achèvement. Et lorsqu'il fallait remonter au dehors pour suivre la chute du décret de réclusion, tu le voyais s'éloigner, chaque fois plus heureux qu'il puisse avoir trouvé de quoi s'appartenir envers et contre tout, davantage, et davantage encore parce que finalement tu finis par ne plus le quitter. Et lui, dans un état de conscience où de temps à autre tu ne lui semblais qu'une illusion délirante, et où d'autres fois il se prenait à te chuchoter quelques mots, t'emporta de plus en plus constamment avec lui, confusément persuadé que sa survie en dépendait. Pourrait en dépendre.
Tu l'as accompagné jusqu'au bout de sa prison. Là où il commença à tisser ce fil entre deux pôles du haut duquel il ne s'est jamais résolu à se précipiter d'un coté ni de l'autre.
Tu n'as pas cessé d'habiter en lui. Tu as été là durant tout ce voyage marqué de quelques fastes et de quelques croisements. Au gré duquel il a juste su bâtir dans un château qui n'est pas le sien, un petit atelier. Un curieux laboratoire où il a usé son sable à chercher à le transformer sans savoir en quoi.
Puis il y a eu cette grande colère. Grande non par son éclat. Grande par sa durée. Une montée pesante aux armées d'acier. Une cohorte de pointe de lances hirsutes, arrachées d'un maxillaire décroché. Et tout un métal naissant et renaissant de lui-même, se reproduisant, s'engendrant dans un silence aussi forcené qu'un hurlement peut dévaster un paysage de son onde tempétueuse. Une colère née au fond du gouffre dont tout ce qu'il en remontait s'épuisait avant de d'en pouvoir sortir. D'en être enfin extrait. Une colère impossible à adresser au dehors. Un mur de bourrasque se mettant à tournoyer lourdement sur lui-même. Sur lui-même.
C'est ensuite que des pluies sont arrivées. Autour. Des pluies de gouttes stridentes, aiguës. Une eau continue de cristaux sonores. Une sonate électronique en trames indéchiffrables, dégoulinant des citernes sans fond d'un langage décomposé.
C'est après que ce déluge ait eu raison du mouvement des bourrasques, que le site est apparu. Avec la carcasse éventrée, au centre. Avec cette lumière en dessous, sourcée probablement dans l'insondable néant menaçant de tout avaler.
Un soir, tu t'en souviens, il t'a ramassé au milieu des ruines de sa colère. Tu y gisais, comme d'autres, dans un boîtier niché dans un dédale du gouffre. Des hantises qu'il frappait pour les contenir. Des monstres qu'il s'employait à tuer par étapes. De vieilles présences qu'il affamait. Toi tu étais toujours à portée de ses yeux. Devant lui. Il n'avait aucune violence contre toi. Pourtant il t'avais jeté là, parmi les autres, au milieu des décombres d'un genre de navire spatial déglingué où il venait régulièrement méditer. Il t'observait souvent, longuement. Ta petite forme chétive, recroquevillée, nimbée d'une lumière pâle mais constante qui te distinguait des formes, allongées ou prostrées, qui peuplaient ce lieu de désastre.
Faune ardent.
Tu es celui qui seul peut tirer les filets de ses regards jusque là où, sans toi, il est si périlleux d'aller. Par delà les immeubles, Par delà les ceintures d'une cité. Au dessus des embruns. Et des pensées stoppées dans leurs turbulences. De ces commencements d'appels qui s'organisent par petits bouts de rien, des débris de retombées, des grains de mots qui volent dans un ensemble désorienté, des papillons d'images aux inextricables puzzles, et il lève quelquefois ses mains aveugles devant lui pour les rassembler, et il bat l’air en n’en retenant que des grappes inarticulées qu’il serre quand même entre ses paumes, pour que quelque chose se retienne, et lorsqu’il rouvre ses mains il n’y a plus qu’un oisillon brûlé, une salamandre grise et sèche, une moitié de poème coupé en diagonale, un grumeau de terre, un livre sans rêve.
Tu es ce qui ne meurt pas. C’est ce qu’il devinait si âprement en considérant, les yeux par instant voilés, ton être fragile et intouchable, exilé de lui comme tous les autres, mais dont une émanation de vie ne cessait pas de s’exhaler avec ce naturel qu’ont certains éléments de continuer à luire dans l’ombre la plus épaisse.
Unique vrai rescapé au fond de cette cale jonchées des diverses parties d’une même mort.
Tu es celui qui faisait régulièrement entendre sa petite voix d’argent étouffée au bout de ses doigts bégayant d’impatience. Ou un arpège de rire sur ses épaules froides, pendant qu’il marchait, allant, selon une habitude salvatrice, de nulle part à nulle part. Tu es celui qui peut lui avoir posté un bonbon dans une boite à lettre, comme une trouble facétie, comme une énigme nue.
Tu était, là, ce qui existait le moins, tout en étant le plus irréfutable.
Il t’a ramassé. Ce soir-là qui n’appartenait pourtant à aucune sorte d’exception. Un soir d’indifférence. Ou d’un souvenir dont il ne laissa rien paraître. D’une volée de jours anciens qui auront traversé son esprit évidé, auront bousculé des ramées de fumées empoisonnées, auront troué son horizon blême, permettant à ton reste de souffle d’y replanter une aiguille suffisamment acérée afin que son éclat soit assez vif sans être douloureux.
Il n’est pas possible de dire pourquoi il t’a emmené là-bas. Si haut dans les terres, tellement au nord, les pans de son manteau claquaient dans le vent, si loin dans ces contrées sauvages, le froid mordait son visage, dans cette lande à fleur de mer que des haches de géant ont, il y a des millions d’années, découpé dans des élans de fureur dont il demeure aujourd’hui, inexorablement corrodé par la folle éternité des flots glacés, un archipel de mausolées sans sépultures et leurs interminables disparitions.
Il a marché, contre ces vents, dans ce froid, te protégeant sous son manteau, plusieurs jours et nuits se succédant indistinctement. Il te serrait contre lui. Ne sachant plus très bien s’il se pouvait que tu le réchauffe ou qu’il t’empêche de sentir la cruauté de l’air.
Ou s’il ne s’agissait pas de sa dernière marche, tant l’épuisement le consumait. Et s’il allait alors savoir qu’est-ce qui l’empêcherait de s’essouffler définitivement, lorsque parvenu au plus inaccessible rocher, presque au milieu des vagues déferlantes, il n’aurait plus la force d’en repartir. Lorsque assis sur l’énorme morceau de violence morte, te pressant sur lui toujours plus fort, sentant le sel se mêler aux lames du vent, sentant son corps se réduire à tout ce qu’il ne voulait plus qu’espérer, il défierait son âme la plus secrète de franchir avec lui cette porte dantesque jusqu’à un calme retrouvé.
Un calme où tu lui serais revenu.
A partir duquel il puisse commencer à te dire. Un calme d’eau grise et luisante sous une aurore blanche. Un calme de rochers dormant comme des mémoriaux de légendes vitales. Un calme de ses bras serrés autour de lui pour se protéger du froid. Un calme de regard se levant sur l’étendue renouvelée d’un monde. Un calme avec en son milieu une sensation reconnue. D’il y a très longtemps. Et si peu aussi. Une sensation au détail oublié.
Mais quelque chose d’une ardeur

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