Dix petits pères noël de porcelaine blanche somnolent sur une étagère. Une souris grise, qui passe par là, d’un coup de museau malicieux, pousse le premier par terre. Bing ! Crââc ! Bang !
Le bruit réveille le vieil Alphonse, qui ne dort que d’une oreille. D’un bond, il saute sur l’étagère. La souris disparaît. Mais un coup de queue malheureux balance le second père noël. Bing ! Crââc ! Bang !
Lysabel, du haut de ses douze ans, se fâche. D’un coup de balai, elle menace le chat et flanque les débris dans un sac poubelle. Bing ! Crââc ! Bang ! Le bout du manche renverse le troisième père noël.
Thomas se moque de sa grande sœur. Il entame une danse macabre, avec force gestes désarticulés. « Papa et maman vont te gronder ! Na na na na nère ! ». “Arrête! Tom-Tom! Arrête”. Bing ! Crââc ! Bang ! Le quatrième père noël est en miette par terre. Penaud, l’enfant aide sa sœur aînée à ramasser les morceaux cassés.
Un calme relatif s’installe. Lysabel observe la poussière accumulée sur l’étagère. Un coup de plumeaux s’impose, pense-t-elle. Avec douceur, les plumes multicolores caressent chacun des bibelots. Et pourtant ! Bing ! Crââc ! Bang ! Le cinquième père noël s’effondre à son tour. « Malheur de malheur ! s’écrie la fillette. On ne touche plus à cette étagère ».
Trop tard. Thomas, d’un penalty dans l’encadrement de sa porte de chambre, décapite le sixième père noël. Bing ! Crââc ! Bang !
« Ly-Ly, j’ai pas fait exprès ! ». Les deux enfants s’installent devant la télévision et la pizza. Les émissions du réveillon les font bailler. Quel ennui ! Quel Noël pourri !
« Quand est-ce qu’ils rentrent, papa et maman ? » Mais Lysabel n’en sait rien. Elle a trop chaud. Les radiateurs à fond rétrécissent l’atmosphère. Elle ouvre en grand les fenêtres. « T’es folle ! », crie son petit frère. Bing ! Crââc ! Bang ! Le septième père noël est mort d’un courant d’air.
Alphonse se met à miauler. Sans bruit, le huitième père noël s’est éclaté sur le carrelage.
« Que se passe-t-il ? » se demande Lysabel. Bing ! Crââc ! Bang ! Le neuvième père noël saute à son tour dans le vide, très mystérieusement. Thomas ne comprend plus.
Les enfants ont le dos tourné. Et hop, le dixième père noël, sans doute par chagrin, s’écrase. Bing ! Crââc ! Bang !
Les douze coups de minuit sonnent. Le téléphone sonne. Lysabel frissonne.
« C’est papa. Noël et maman vont bien. ».
« C’était papa », explique-t-elle à son frère, « ils ont appelé le bébé Noël. ».
« C’est nul, Noël ! », répond Thomas.
« Allez ! Viens, Tom-Tom, on va jeter les pères noël à la poubelle. »
Pendant que l’ascenseur s’enfonce dans les étages, Lysabel a l’impression que le sac rempli des débris de porcelaine s’allège de plus en plus. « Ho ! » dit-elle.
Arrivés en bas, dans la cour de l’immeuble, ils jettent un coup d’œil dans le sac. Dix papillons d’hiver s’en échappent, les ailes couvertes de givre, multicolores et irisés. Dans un souffle, ils s’envolent dans la nuit de Noël.