A sa descente du bus 21

Publié le 01 janvier 2009 par Unepageparjour

A sa descente du bus 21, Armance Desnoizel se demande si cette amniocentèse, finalement, est une aussi bonne idée que cela. Prise dans l’étau de ses pensées, elle ne prête guère d’attention à ses pas qui l’emmènent au Jardin du Luxembourg. La fine lumière de mai distille autour des gravillons blancs une ombre violette, rendant à chaque petit caillou une existence propre, tangible. Les proportions se mélangent, comme dans un tableau de Picasso, les arbres, ramassés sur eux-mêmes, peinent à jaillir vers le ciel, alors que d’énormes tourterelles s’envolent dans un nuage de poussière lourde, opaque, qu’Armance traverse dans un rêve. Le contact de la chaise sur ses fesses la tire vers les images rieuses des enfants qui courent autour du point d’eau.

La vibration insidieuse de son portable résonne dans son sac à main. Un SMS de Pascal, cours, concis, efficace, comme d’habitude. Même si aujourd’hui, elle pense qu’un peu de sa voix, le mélange subtil des silences et des mots, lui ferait du bien. Elle le voit sortir d’une salle aux murs beiges. Des fauteuils de cuirs noirs, évasés. Avant d’entrer dans une autre, avec son ordinateur portable brûlant, des chiffres plein la tête. Juste l’interstice de temps pour elle. Juste ce qu’il faut.

« Alors ? », crie le SMS.

Un homme au visage bronzé racle les pieds d’une chaise pour s’approcher. Ses petites boucles d’argent retombent sur sa nuque avec élégance. Il se penche vers elle, dans une délicatesse extrême, son profil découpe sur le soleil printanier un sourire enjôleur.

Quel temps magnifique ! N’est-ce pas un tableau de Monnet ? Ces enfants pleins de couleurs ?

Je suis enceinte et j’ai quarante ans, dit Armance d’un ton neutre, derrière ses lunettes noires.

Vous ne les faîtes pas, s’exclame l’homme en s’éloignant, non, pas du tout ! Vous êtes céleste, ajoute-t-il, dans une sorte de révérence, avant de disparaître.

« Alors rien. », répond-elle au SMS. « Je ne sais plus. »

Oui, un tableau de Monnet, médite-t-elle. Les tâches rouges, jaunes, mauves des fleurs, se mélangent aux traînées blanches des enfants. Des groupes de femmes s’agglutinent, sorte d’essaim bourdonnant, autour des platebandes, distribuant pains au chocolat, chaussons aux pommes ou barres de céréales. Les mouvements paraissent désordonnés, hiératiques, mais une sorte d’ordre serein émane de ce chaos, qui la rassure. Elle pose le plat de sa main sur son ventre à peine tendu, ôte ses lunettes et se laisse à fermer un peu les yeux, légèrement, juste ce qu’il faut pour laisser entrer un rai de lumière jaune entre ses cils, une lumière vibrante, chaude, qui voltige pareille à un papillon de nuit derrière l’ombre de ses paupières.