Magazine Humeur

Epiphaneia

Publié le 02 janvier 2009 par Etxe

(mise à jour d’un post ancien)

 Cette année, l’Epiphanie « historique » (le 6 janvier) et l’Epiphanie pâtissière ne coïncident pas, comme c’est souvent le cas depuis qu’un Pape visiblement plus attaché au marketing prosélyte qu’aux livres sacrés de sa propre religion ne décida d’inventer « l’Epiphanie mobile ». Ce concept religio-pâtissier instaure le dimanche qui précède le 6 janvier comme jour de l’Epiphanie, ce qui permet à l’artisan pâtissier de faire une bonne recette dominicale et à la femme du boulanger de tirer les Rois. Les origines mythico - historiques de l’Epiphanie s’oublient progressivement, la grande lessiveuse du marketing et de la sous-culture faisant son œuvre.  

Origines mythico - historiques

Pour retrouver les origines mythico-historiques de l’Epiphanie, nous devrons nous plonger dans les Evangiles, en nous intéressant à leur dimension symbolique. Comme l’écrit Paul Diel, psychologue français mort en 1972, qui travailla et écrivit beaucoup sur le symbolisme, « la véracité des Ecritures ne vient pas de ce qu’elles seraient dictées par un Dieu réel mais de ce que leur symbolisme renferme un sens profond, le sens de la vie, caché derrière la façade de tous les mythes ». 

Epiphaneia signifie apparition en grec. Ce mot s’employait dans l’Antiquité pour identifier l’apparition salvatrice d’une divinité ou d’un souverain. A Alexandrie par exemple, dans la nuit du 5 au 6 janvier, on fêtait Aion, le Dieu Soleil, et en Grèce on fêtait Dionysos.  

La mythologie et les religions n’étant que d’universels palimpsestes sur lesquels chaque civilisation récrit ses propres crédos, l’Eglise d’Orient eu tôt fait de se réapproprier ces dates et ces coutumes païennes pour y installer sa propre imagerie. Le créneau « mi-décembre / mi-janvier » étant traditionnellement recherché par de nombreuses religions (car c’est la période où le jour commence à l’emporter de nouveau sur la nuit, avec tout le sens symbolique que l’on peut voir derrière ce phénomène), les premiers clergés chrétiens y fixèrent arbitrairement la naissance de Jésus et l’Epiphanie, histoire de faire oublier les fêtes solsticiales (comme les Saturnales romaines, dont la trace demeure encore aujourd’hui à travers les illuminations et les ripailles du 24 et du 31) ou la célébration de Mithra (le mithraïsme était une religion d’origine perse, que les légionnaires romains ramenèrent et pratiquèrent à Rome et dont la fête suprême se déroulait… le 25 décembre ; la principale trace qu’il nous reste du mithraïsme est la Corrida, Mithra ayant gagné ses galons de Dieu en terrassant un taureau furieux à peine sorti de son berceau). 

L’Epiphanie est étroitement associée aux Rois Mages. L’apparition qu’annonce la venue des Mages est bien sûr la naissance de Jésus, et leurs offrandes attestent de la filiation divine du nouveau né. Et malgré l’expansionnisme mondialiste de Saint Nicolas relooké en Père Noël à la sauce Coca Cola, ce sont encore les Rois Mages qui, le 6 janvier, portent les cadeaux aux petits espagnols, comme ils portèrent à Jésus l’or, l’encens et la myrrhe.  Il est bien difficile de remonter la trace de ces Rois mythiques car curieusement, la Bible est peu diserte sur le sujet. Seul l’Evangile de Matthieu fait état « d’astrologues venus d’Orient jusqu’à Jérusalem. (…) L’étoile aperçue en Orient allait devant, ils la suivaient ». 

Son sens symbolique  

C’est la tradition chrétienne qui donnera corps à ce mythe, faisant notamment de ces astrologues, des Rois Mages. Elle structurera aussi ce triptyque,  baptisant ces « rois » Gaspard, Melchior et Balthazar, en associant chacun d’eux à l’un des trois continents connus à l’époque (Europe pour Gaspard, Asie pour Melchior et Afrique pour Balthazar) et en les identifiant aux trois âges de la vie (Gaspard le vieux, Melchior l’adulte et Balthazar le jeune). 

Héros de la mondialisation avant l’heure, l’exotisme de ces mages sous-tend l’idée que les sages et les initiés du monde entier venaient vers Jésus pour le reconnaître et lui rendre hommage.  Quant à l’étoile, si elle figure bien dans l’Evangile de Matthieu, la tradition postérieure en précisera le contour (étoile à 8 branches) et la baptisera « étoile de Bethléem ». Et il sera intéressant d’apprendre que dans l’Empire Romain, beaucoup croyaient qu’une étoile apparaissait à la naissance de chaque être humain, particulièrement brillante pour les gens destinés à accomplir de grandes choses. 

Les cadeaux que les Mages portèrent à Jésus sont eux aussi chargés de symbolisme. Les principales interprétations symboliques sont les suivantes : 

Ø   L’Or est censé représenter la dignité royale de l’enfant ou son origine divine, certaines interprétations associant toutefois l’offrande de l’or à la pauvreté de Marie.

Ø   L’encens symboliserait au choix la divinité de Jésus ou son âme pieuse. La fumée de l’encens qui monte au ciel traduit quant à elle notre volonté de nous élever au dessus du matériel et du quotidien.

Ø   Enfin la myrrhe, à la fois symbole de mort (elle servait à embaumer les défunts) et de vie (elle soignait les blessures), représente selon les exégètes la future mort de Jésus sur la croix, ou bien un fortifiant pour le nouveau né, ou enfin la pureté de son corps.  Cette dernière interprétation fait sans doute référence au mythe de Myrrha que son père, le roi de Chypre, considérait comme plus belle qu’Aphrodite. Cette dernière, pour se venger, la poussa dans le lit de son père et de cette étreinte naquit Adonis. Se rendant compte de l’inceste, le père chassa Myrrha du Palais et Aphrodite la transforma en arbre à myrrhe. Karl Rahner, théologien allemand dont les travaux influencèrent Vatican II, fidèle à ses principes de replacer l’homme au cœur du message biblique, propose quant à lui une interprétation humaniste. Pour lui, l’Or évoque notre amour, l’encens notre nostalgie et la myrrhe nos souffrances. 

Cette triade magique renvoie aussi bien sûr à la symbolique du chiffre 3. Symbole d’équilibre, le 3 est très présent dans la symbolique de nombreuses philosophies, mythologies ou religions. A noter par exemple que dans les hexagrammes chinois, le Roi est représenté par trois traits horizontaux (symbole de plénitude) barrés d’un trait vertical (symbole d’équilibre). 

Les Rois de l’Epiphanie sont aussi porteurs de valeurs à partager. Ils symbolisent avant tout la connaissance éclairée : connaissances scientifiques (astronomie), culturelles (brassage ethnique) et géographiques. A ce titre, ils sont porteurs d’un message de paix, de tolérance et de respect d’autrui. Ils sont d’ailleurs suffisamment lucides quant aux travers de l’âme humaine pour se soustraire au marché que leur propose Hérode (lui livrer Jésus contre quelques informations sur sa localisation). Les trois Rois représentant les trois âges de la vie et les trois continents, ils nous montrent aussi le chemin : tout en nous doit se mettre en route pour aller au fond de ce que signifie être homme.

Jacques Brel dans sa comédie musicale « L’Homme de la Mancha » évoque aussi cette démarche, notamment dans « La Quête » : « aimer un impossible rêve (…) - aimer jusqu’à la déchirure -aimer, même trop, même mal - tenter, sans force et sans armure - d’atteindre l’inaccessible étoile - telle est ma quête - suivre l’étoile - peu m’importent mes chances - peu m’importe le temps – (…). » .

L’inaccessible étoile de Brel, et l’étoile des Rois Mages ne faisant, bien sûr, qu’un… Car comme l’écrit le Bénédictin allemand Anselm Grün, « les Mages ne représentent pas seulement les autres peuples, les autres civilisations, les autres chemins de la religion. Ils représentent aussi notre propre quête ».


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