Magazine Journal intime

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Publié le 04 janvier 2009 par Thywanek

Deux saisons, trois, quatre, et davantage, personne n'était revenu.
Non. Pas tant.
A peine un an.
Cela suffit.
Ensuite ça ne fait que rajouter encore des feuilles mortes aux amas déjà constitués dans les coins des bâtiments, au fond des terrasses, sur le seuil. Ou ça ne fait que déplacer ces amas au gré des sautes de vent. Comme elles s'engouffrent ici. Comme elles ressortent de par là. Comme elles tourbillonnent plus ou moins furieusement. Comme elles se chargent de pluies ou comme elles caressent le gel d'un tranchant de feuille de soie.
Cette fin d'été on s'est vu de retour.
Mais ce n'est pas qu'on ait cherché finalement un repli vers une tranquillité.
C'est qu'on est revenu à un endroit d'arrêt.
On a dormi à l'abri des ponts. Dans des recoins de porches que l'éclairage des lampadaires épargne. On a dormi dans des trains. Dans des voitures au bord des routes. Le matin on voyait une campagne blanche et grise avec des toits noirs sous la nuit pesamment soulevée de terre. Quelques pas sur le talus en tirant sur les pliures du corps après l'inconfort d'un sommeil urgent. On voyait l'eau du fleuve coupant froidement la ville. Ou les incisions des rails sous des grands halls de verre.
Chaque précision construit un trône où la main se pose. Au dessus le regard nomme les attributs d'une cour silencieuse. Un peu d'or pointe au milieu des épaisseurs nuageuses. Palais vivant. Révérence.
Oui on a fait de tous ces mois un voyage orgueilleux. Il faut de l'orgueil. Pour être un roi plié dans une ouverture d'immeuble. Pour n'être qu'en visite aux marches du royaume. Voir la courbe des siens mais assez en dessous. Parce que leurs yeux souvent déforment les trottoirs. Ou grattent un sillon au moment de leurs pieds. Qu'il faut d'une sacrée paume relever leur fronts pour leur faire voir un peu de cette clarté. On était pas là pour ça. Mais quoiqu'il arrive il ne faut jamais négliger cette aumône même vaine. Et si on est pas là pour ça, et quoi qu'on sache de ce pour quoi on est là, puisque qu'il s'agit de vide et d'attente, au moins que ça ne se perde pas sans avoir servi.
J'avais fermé cette maison. Je n'en avais même plus un souvenir de clé. Le temps dans lequel elle était apparue n'ayant, par nature, rien de commun avec celui qu'utilise les maçons pour dresser des murs, il n'y avait pas matière à s'étonner qu'il y ait cette maison. Son plan déjà marquait le sol. Son intention vivait. Son projet dormait. Et d'ailleurs pouvait encore dormir. Est-ce la persistance de soi ou de ces choses auxquelles on croit ne pas appartenir ? Est-ce que dans tout ce que l'on étire sur le fil du temps pour amenuiser certains volumes, des encombrements, il n'y a pas cette résistance de tel objet ou de tel autre, cet entêtement à se défendre contre l'anéantissement ? Est-ce un refus de cet étirement, et quoi l'inspire ?
C'est cette manie de rôder, même de loin, tout autour. A des jours du jour, souvent, assez loin de la nuit aussi. Combien de fois partons-nous pour combien de fois nous rapprocher en définitive ou mieux encore en emmenant ce dont on disait se séparer. Quel temps fait alors un voyage. Je l'ai dis en commençant ; une saison, un an, c'est pareil. Une agaçante petite vanité colle aux semelles comme un ridicule petit chien ironique. "T'as l'air malin !..." couine-t-il en s'appliquant tout de même à ne pas te faire trébucher.
Installé dans une des petites cases claires d'un ensemble de fenêtres innombrables, j'ai mon atelier, mon trou pour dormir, et mon coin pour manger. Pas perdu, jamais perdu, la capacité de faire un territoire de presque rien. J'ai souvent fait un chez moi de deux ou trois mètres carrés. La simple idée d'un luxe aussi compté n'en rend pas moins une colonne vertébrale. Et pour les autres, très important, pour les connus, mais surtout pour les aimés, le lieu de là où tu vis. Où ils peuvent venir. Où ils peuvent seulement te savoir, et se sentir rassurés. Leur drôle de façon de t'imaginer fragile...
C'est la maison rouverte. C'est une couleur prise peu à peu alentour. Pas dans les sols toujours soumis au même ouvrage. Pas au dessus de nos têtes où le basculement vertigineux suit le cours cadencé du tic-tac. C'est de l'intérieur. Jusqu'à la main qui prend. Jusqu'à la voix qui dit. Le corps avancé. La tête, un drapeau.
Parler de cortège et de guerre. N'en disant rien. Puisque nous n'avons rien pu empêcher. Des croisements clippés sur l'empesé brocard d'un long, d'un long, d'un long malaise.
Une femme de mon age vue à Union Square, distribuant des tracts contre la guerre ; quelques mots échangés, elle américaine avec moi français, ne nous laissez pas tout seul, dit-elle, ne nous laissez pas tout seul.
On se trompe bel et bien, si on ose dire : le désespoir est un point de départ, pas une échéance fatale. Avancer, marcher, c'est s'en éloigner non pas le rejoindre. Ni le perdre, car, oui, ça, c'est impossible.
Deux minutes et un visage de femme en colère, le dos au désespoir, criant dans les abysses, et que tous pouvaient entendre.
Une conscience naît de ces ultra-sons.
Bout d'octobre à New York.
Merveilleusement seul.
Là il se forme enfin, sous le terreau soigné des jardins réfléchis, des parcs pondérés, le seïsme cardiaque et son espoir de temps.
Poussé par l'obligé d'une vie exigeante, j'ai à nouveau courbé mon échine devant un nombre d’ombres. Ma voix. Mes mots. My songs. Dans un petit point rouge théâtral, punaisant le soir à la carcasse de la ville, j'ai retrouvé les ailes, j'ai été caressé ; je vais y retourné ; je suis attendu. Je le sais. J'ai un rendez-vous. Et je ne sais plus faire comme si j'ignorais.
Des guerres et des cortèges : festival des cultures dans le ventre de Berlin. Aux portes de l'été, un séjour dans la ville où si souvent l'Histoire a enfanté. Accouchant de Gorgonnes, d'Hydres, de couteaux, d'acier, de feu, de froid.
Aujourd'hui j'y ai bu plus de bière que possible, sur une table à l'est, de bois plantée sur un trottoir, radeau d'un café de mauve et d'oeil clair, où l'Histoire peut passer légitimement sue. Une nuit éternelle comme nous en veillons peu.
Quelques saisons et, filigrane, incandescent comme le filament d'une ampoule, veilleuse inextinguible, le quelque chose de toi, à qui j’enlève son nom, que j'ai et qui n'a pas disparu.
Donc le choix coupant de faire ou de ne pas faire.
Je ne suis pas allé chercher dans la pile rangée des diverses correspondances des points d'amarre auxquels accrocher ce que j'adresse aujourd'hui.
Je ne saurais dire ce qu’il y a à s’autoriser.
La petite voix qui de si nombreuses fois dans ma vie m'a chuchoté de faire ceci, de dire cela, d'accepter ci, de partir de là, cette petite voix qui n'a pas toujours eu l'air d'avoir raison, et que cependant je suis à chaque fois parvenu à suivre, cette petite voix cristalline qui résonne d'un chant d'enfant et qui circule dans la nuit d'or où les secrets sont retirés, cette petite voix me murmure de faire ce que je fais.
Je n'en sais pas plus.
Mais outre les mots, c'est aussi le silence qui a grandi qui pourra dire la suite.
Une petite musique, douce, claire, passe son fil d'eau dans le trou d'une aiguille : ça ne coud rien. Mais c'est là. Ca existe. Il en reste ceci : des matins et leurs lendemains qui se suivent. Le monde nous vient avec le temps. Il est inutile de croire qu'on en a en plus ou qu'on en a en moins selon que l'on commence ou que ce commencement parait loin derrière soi.
Le monde nous vient en évènements. Il faut se faire des hanches et des jeux de hanches qui passent entre les affiches. Se faire des tympans aux filtres subtils pour que seul le cri nous atteigne, pur et cru, sans le commentaire ménager des obligations officielles descendues en écho dans les paniers des supermarchés.
Un monde nous vient et c'est un ventre énorme. Une panse enflée de tempêtes. Nous maigrissons autour de l'os pour diminuer la prise et durcir la résistance. Nous travaillons le muscle pour faire un bouclier. Nous chantons, nous dansons, tout est dans la rue. Les pieds frappent tandis que les yeux sont rivés au fléau de la balance.
Il se croise beaucoup de regards jeunes de sources qui remontent.
A la fenêtre, dans la vaste cour de la résidence, il y a un cèdre bleu. Il abrite le beau dans cet espace où il n'y en a pas beaucoup. Je reste où rien ne s'installe. Je matte les vis à vis. Des rangées d'étages en tableau de bord où les éclairages témoignent des activités. Je me suis fait un havre de discipline. Ma seule télé y passe par un bouquet d'antennes pour espionner les terrasses et les balcons d'en face. De la tasse de café dans un flottement matutinal aux bleus aquariums où s'agitent les écrans du soir.
Je n'ai plus rien à faire que ce que je me suis promis Tout est réuni ici. Je mérite bien ce que je me dois. L'état de mon âme et celui de mon coeur sont dans ces mots, et peut-être déjà dans leur défilé sous d’autres yeux. Sans nom.
La terre brûle. Trop d'arbres meurent. Mars la guerrière nous toise de son oeil rouge.
Mais il est d'autres courants dont l'infini s'oppose même après une défaite. Les soldats changent d'armes. Les épaules de sable se fatiguent. Les corps inconsolés s'assoient parmi les pierres. Et des fêtes trépignent, le museau malicieux, autour des arrogants, ubu-rois congédiés.
Nous n'avons à craindre que les reproches de ceux qui demeurent dans des cercles d'enfer. Ces reproches ne sont pas rien, vraiment. Mais nous, c'est ceux qui peuvent. Mêlés de ceux qui doivent. Augmentés de ceux qui savent.
Etat de coeur, état d'esprit. J'étais en train de me dire que j'arrête là.
Après cette incursion dans des privés virtuels où même nommés, nous pouvons être incognito.
Après ce dérangement, mais il faut être dérangé ; de temps en temps, voire plus.
Je laisse choisir l'importance de l’écho. Y compris faire que ce choix soit moins coupant que le mien.
On annonce des pluies. Ou de la neige.J'aimerais être sous certains feuillages, dans certaine forêt.

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