Moi, jeune intellectuelle précaire française, j’ai contribué à enrichir François Pinault.
Et ouais.
En visitant l’expo Jeff Koons à Versailles, j’ai fait prendre pas mal de valeur à sa collection d’art contemporain.
Ce qui est le principal enjeu de cette expo.
Je ne suis pas une immonde réactionnaire qui pense que Koons est une réincarnation de l’Antéchrist qui veut abattre le prestige de la famille royale française (et pourquoi pas les décapiter, tant qu’on y est ?)
C’est juste que comparer l’expo Koons à Versailles avec celle de Jan Fabre au Louvre est une vaste fumisterie.
En premier lieu parce que Jan Fabre composait certaines de ses oeuvres en rapport avec les oeuvres présentes au Louvre. Fabre interrogeait donc la pérennité du processus créatif (en comparant les crucifixions au body-art, par exemple, ou en se représentant lui-même en ver de terre géant) tout en exprimant ses obsessions propres.
L’accrochage et le dialogue des oeuvres étaient donc fondées sur une interrogation artistique.
C’était très intelligent et très novateur, tout en rappelant que Jan Fabre est un grand artiste, mais un performeur sans intérêt. Mais nous avons déjà eu l’occasion d’en parler…
Jeff Koons n’a pas du tout réalisé ses oeuvres pour le château de Versailles.
Ce sont des oeuvres qui avaient une existence propre, et qui continueront d’en avoir une dans la collection de Pinault, jusqu’au jour où il décidera de les revendre.
D’ailleurs, Jeff Koons n’a pas réalisé ses oeuvres tout court. Il se contente d’en avoir l’idée et les fait réaliser par d’autres.
Ce qui soulève une première question : n’agit-il pas comme le faisaient les maîtres anciens qui avaient un atelier travaillant pour eux ?
C’est là le problème de cette exposition : toutes les questions qu’elle soulève sont les questions les plus rebattues du siècle dernier.
Exposé des objets ready-made, est-ce de l’art ou est-ce le fait que nous les regardions qui en fait de l’art ? Comme le disait Duchamp en 1917… Même Isabelle Adjani n’était pas encore née. C’est dire si c’est vieux.
De fait, c’est l’accrochage lui-même qui donne tout son sens à… l’accrochage lui-même. Tout ceci tourne un peu en rond.
La visite se tourne alors en jeu de piste pour comprendre la logique de l’accrochage et voir en quoi il est trop malin.
Exemples : Jeff Koons en Apollon dans le salon d’Apollon.
La Ciccolina enlaçant la Panthère Rose dans le salon de la Paix.
Des aspirateurs dans l’antichambre du grand couvert… où sont exposés des portraits de femmes peints par des femmes (je ne suis pas peu fière de l’avoir trouvée, cette association d’idées). L’air de dire que l’art féminin, c’est l’art ménager.
Bref, ça marche assez souvent, et c’est très malin.
Mais est-ce qu’être malin c’est produire du sens ?
Être malin, c’est plutôt la qualité qu’on attend de vous dans les concours de la fonction publique : ce n’est pas produire du sens, c’est faire penser à votre interlocuteur qu’il est intelligent.
Associations audacieuses sur des questions rebattues… Jeff Koons serait-il un énarque de l’art contemporain ?
En effet, alors que l’art véritable est celui qui est enrichi et non épuisé par la critique
(mon credo), la critique dévoile l’art malin mais une fois que le roi est nu… il lasse instantanément.
En effet, alors que l’expo Jan Fabre montrait un dialogue entre artistes, celle de Jeff Koons ne peut se passer de la médiation du spectateur.
Ce qui n’est pas très novateur.
Ce qui en revanche est novateur, c’est réintroduire l’idée de “médiation du spectateur” à l’intérieur du château de Versailles, qu’on a toujours considéré en France comme un truc joli.
Alors Jeff Koons, en reflétant le palais, révèle à quel point Versailles, c’est en réalité affreux : moulures improbables, luxe bling-bling, grosses dondons enrubannées aux yeux globuleux portraiturées par des peintres médiocres dans des croûtes géantes, fleufleurs omniprésentes, c’est clinquant et absurde, et pour tout dire, d’assez mauvais goût.
Quant on pense à ce que faisaient les artistes espagnols à la même époque, ça fait mal.
Caramba !
C’est Versailles lui-même qui produit un écho amusant à l’univers clinquant, absurde et de mauvais goût de Koons.
Certaines oeuvres semblent d’ailleurs avoir été crées spécialement pour décorer, comme le buste de Louis XIV dans le salon de Mercure, ou comme le gros vase de fleurs dans la chambre de la Reine. Ce qui est évidemment faux, mais révélateur.
Refléter tout le côté clinquant et de mauvais goût de Versailles, telle est la réussite de Jeff Koons. On se demande pour autant si un autre n’y aurait pas aussi bien réussi.
En attendant la réponse, enrichissons François Pinault.