Armance frémit

Publié le 09 janvier 2009 par Unepageparjour

Début d'Armance Desnoizel

Armance frémit. L’envie de cerises est passée. Le goût des larmes est venu. Les larmes salées, brûlantes, amères, qui tracent sur le visage leur sillon indélébile. « Pourquoi pour le moment ? » Avait-elle osé. « Pourquoi ? Mais Madame, vous n’êtes pas sans savoir qu’à votre âge - vous avez quarante ans, Madame, n’oubliez pas - le risque de malformation génétique, en particulier la trisomie 21, est très élevé. ». « Combien ? Combien exactement ?», s’enquit Pascal. « Un sur cent onze ! Voilà ! Mais j’imagine que vous avez bien mesuré ce risque, n’est-ce pas ? ». Le silence revenait à l’assaut, bousculant tout sur son passage, frappant sans pitié, à l’aveugle. Elle scrutait le profil de Pascal. Son profil lisse, sculpté dans le marbre lourd, impassible. Son ventre la torturait. « Mai, c’est-à-dire qu’il y a cent dix chances sur cent onze ... ». Elle ne put finir sa phrase. Le médecin la coupait. « Bien sûr ! C’est un risque ! C’est tout ! Le chiffre froid, net, des statistiques. ». Pascal plissait le front. « N’y a-t-il pas un moyen de savoir ? L’amniocentèse ? ». L’homme en blanc acquiesçait. « C’est d’ailleurs tout indiqué, pour le cas de Madame ! Vous faîtes le test. Vous savez. Vous décidez. ».

Armance se lève de nouveau. Ses jambes s’ankylosent. Des piqûres la parcourent. Ses pieds la gênent. Elle avance de quelques pas, le long de la pelouse. Elle s’imagine se coucher sur la terre, la peau de son ventre nu au contact de l’herbe tiède. Mais elle ne peut pas. Trop de monde, pense-t-elle, qui la regarde. Des enfants, qui s’étonneraient. « Que fais-tu, Madame ? Tu joues avec nous ? ». Le gardien, qui lui ordonnerait de se relever. Ou d’autres femmes, d’autres mères, qui se coucheraient près d’elle, qui s’endormiraient, dans la douce tranquillité d’une folie partagée.

« Décider quoi ? », demandait-elle. « Qu’y-a-t-il à décider ? ». « Après, c’est vous qui voyez, n’est-ce pas ?  Dans votre âme et conscience. On ne parme plus d’avortement, ensuite, vous savez. ». Le médecin avait pris un ton docte, paternel, rassurant.  « Avortement ? ». Armance ne comprenait rien. Elle glissait, sur une pente argileuse, prise dans un sable mouvant, qui l’emportait dans un vertige infini. « Non, il n’y a plus d’avortement. Nous pratiquons simplement une interruption médicale de grossesse. »