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Van gogh est une con

Publié le 11 janvier 2009 par Emma Falubert
Van gogh est un con et il n'y est pour rien.
Van Gogh est un peintre et Van Gogh est un con.
Van gogh est un con parce qu’il est un peintre connu surtout pour s’être évertué à peindre et à repeindre sans cesse, encore et encore, de grandes fleurs prétentieuses et sans raffinement, dont la première fonction fut de servir d’ illustrations sur des couvercles de boîtes de chocolats pour comité d’entreprises ou discounter allemand.
Van Gogh est un con parce que du coup s’est développée l’idée qu’un vrai artiste est quelqu’un qui s’obstine à peindre des tournesols, avec application et jusqu’à l’excès, pour des couvercles de boîtes de chocolat. Cette activité est depuis jugée à la fois saugrenue, inutile mais malgré tout, inoffensive : on dit alors, de ce « vrai » artiste que c’est un original. On le dit d’autant plus en découvrant les frasques et les bavures de ce fameux Van Gogh, lui qui se coupe une oreille lorsqu’il est en colère, qui se bat avec ses meilleurs amis, qui se fait enfermer volontairement dans l’asile le plus ensoleillé de France et qui ronchonne sans cesse de façon fébrile et inquiète. Par extension et extrapolation, on conclue rapidement que les artistes sont tous des dingues.
Van gogh est un con parce qu’on lui doit ce cliché commun, cette idée reçue, séduisante, et aussi folklorique que réductrice. Et cette idée a la dent dure, à tel point que, paradoxalement, elle a contraint Jeff Koons, peut être parce qu’il voulait que les milliardaires, amateurs d’art et de placement lucratif, le prennent au sérieux, se sente obligé de porter costume et cravate, même en dehors des dîners de charité, auxquels il participe, business oblige.
Van gogh est un con parce qu’il peint avec obstination et entêtement, pour s’occuper, comme d’autres collectionnent des barbotines ou des porte-clés, astiquent convulsivement et obsessionnellement leurs voitures ou leurs maisons ou se plongent dans la prière et les litanies jusqu’à la béatitude. Tous ces gens, comme Van Gogh, passent leur temps à éviter de voir le vide de leurs propres vies. Alors ils meublent, ils remplissent des interstices, ils comblent des béances, répétant sans cesse les mêmes actions pour ne pas laisser de place au doute et à la perception empoisonnante de l’inutilité de leur vie. Ils s’agitent, s’occupent, s’excitent ou s’abrutissent, pour éviter de vivre et ne pas, dans leur « grande sensibilité » et les déséquilibres affectifs, qui les encombrent, souffrir de ses manques et de leurs impuissances face à ces manques. Van Gogh, dans son obsession de la répétition, dans sa boulimie insatiable de peindre tout et n’importe quoi, sans cesse et sans répit, est emblématique de ce que l’on appellera le sens de l’absurde. Il en est le premier peintre. Il est le premier peintre qui, tout en semblant vouloir rendre compte de la banalité du réel et de son absurdité, le fuit, ou en tout cas le manque, comme on manque une cible, et comme on rate un train, comme on rate un examen. Et dans ce ratage, (et ces ratages qui l’obligent à toujours se remettre à l’ouvrage, et à peindre des tournesols, des crabes à l’envers ou des pommes à deux balles,) il finit par nous en dire plus sur son humeur et ses états d’âme, sur ses manques, ses insatisfactions et sa folie que sur les objets dont il prétend rendre compte.
Et parce que dans cette quête infructueuse, il nous empêtre, nous emberlificote dans les méandres filandreux et épais de sa grossière palette, il finit en douce et sans le vouloir par nous étouffer.
Van Gogh est un con parce que contrairement à ce que peut être l’art, il n’est pas une respiration, il est un étouffement de narcissisme qui ne dit pas son nom et se cache dans d’obsessionnels tournoiements de ciels peints avec des couteaux… de charcutier traiteur.
Van Gogh est un con parce que dans la lignée d’un Rembrandt, mais pas pour les mêmes raisons, il a inventé l’autopromotion, en se peignant plus de 25 fois quasiment toujours dans le même sens, avec le même regard, dans le même axe, regardant toujours intensément… Rien. Comme s’il voulait que l’on se souvienne de ce visage tourmenté, pour mieux vendre plus tard ce qui est, grâce aux chocolatiers, devenu la marque Van Gogh.
Van Gogh est un con parce qu’il a contribué a faire de l’individualisme, de l’introspection répétitive et en boucle, une valeur sure et incontournable, ce qui est depuis devenu un vrai argument de vente. Depuis, beaucoup se croient obligés de juger une œuvre à l’intensité, à la quantité, à l’épaisseur et au poids de la soi disant « âme du créateur », à l’aune de sa personnalité, plus ou moins torturée, avec des variantes comme l’influence de inconscient ou la richesse de la propre histoire de l’artiste (de préférence très douloureuse, évidemment.) Et plus cette matière est singulière, en confinant par exemple à ce que le commun des mortels appelle la folie, plus l’œuvre est considérée comme intéressante et de valeur. Van Gogh est devenu l’archétype de cette approche qui s’est généralisée sans modération. Depuis le début du XX ème siècle et jusqu’aux années soixante-dix, on a donc considéré la folie comme un gage de créativité, d’invention, voire de génie. La faiblesse de l’œuvre de Camille Claudel, par exemple, est excusée, réinterprétée et réhabilitée par sa folie et sa fin tragique dans un asile. Le premier geste de Duchamp n’a longtemps été compris qu’à travers les dérapages spectaculaires du bonhomme, avant d’être compris comme un geste fondateur. Antonin Arthaud, chantre d’un absurde comme champ (et chant) d’une poésie à inventer, est plus connu et reconnu pour et par son beau visage de fou dans le Jeanne D’arc de Dreyer que par la puissance poétique de ses écrits. Plus près de nous le « vol au-dessus d’un nid de coucou » est un éloge de la folie et une défense des « fous » face à l’ordinaire et à la banalité des gens dits normaux. On pourrait multiplier les exemples.
Van gogh (et ses épigones) est un con parce qu’il nous fait oublier que les fondements d’une œuvre sont paradoxalement ailleurs et en tout cas pas dans ces désordres mentaux, ni dans les délires narcissiques de celui qui prétend faire de l’art et ne fait que l’artiste. Il nous fait oublier que ce sont les effets que produit l’œuvre qui comptent et lui donnent sa valeur. Ce sont les émotions qu’elle suscite, les pensées qu’elle provoque, ce que cela met en relation dans l’intimité de celui qui regarde, ce que cela établit comme liens entre tous ceux qui regardent, qui font et fondent une grande œuvre. Ce ne sont surtout pas les savoirs et les connaissances, attachés à cette œuvre qui lui donnent sa valeur mais la richesse et la complexité que cela ébranle, que cela engendre chez celui qui regarde. L’œuvre est secrète non parce que l’artiste est un mystère ou un taré mais parce que ceux qui s’y mesurent y voient, y sentent, y ressentent leurs propres questions, leur propre complexité et avec, celle du monde. Les œuvres de Van Gogh, sont loin de ce compte et ne soulèvent rien de tout cela. On peut juste dire que dans cette obsession du moi, dans cette autopromotion de son ego comme sujet, en en faisant un fonds de commerce, il a permis et légitimé bien des dérives qui occupent aujourd’hui le terrain.
Van gogh est un con parce qu’il a inventé le syndrome Van Gogh ! Le syndrome Van Gogh est la crainte permanente, pour le monde de l’art, de passer à côté, de manquer quelque chose d’important, comme à l’époque, pensent-ils, le monde de l’art était passé à côté du Flamand. La réalité,, c’est que Van Gogh est resté inconnu à l’époque, simplement, parce que peu de gens avaient vu, ou pu voir ses toiles. Il n’y a pas d’artiste maudit, il y a juste un handicapé de la vie, incapable de se confronter au regard des autres, incapable de s’organiser, maladroit, violent, et en résumé, infréquentable !
Van Gogh est un con parce que aujourd’hui encore dès que, quelque chose semble creux, bizarre, absurde, sans sens, incompréhensible au premier coup d’œil, on s’empresse d’y voir immédiatement la noblesse d’une plainte, l’élégance d’un cri, la beauté d’une douleur. On encense, on argumente. On dissèque, on dépiaute, On raisonne. Souvent à partir de ce qui est en fait une maladresse de style, un manque avoué, assumé ou non, une faiblesse technique, une incapacité à mettre en forme, on prête à l’artiste, de peur de le rater, une intention enfouie, un désir caché, une obsession maladive, une douleur ignorée, un mal de vivre insupportable, lui conférant un dessein que l’on voudrait universel. C’est ça le syndrome Van Gogh. Dans les détails d’une forme bancale, dans un bruit hasardeux, un trait oublié, on ré/invente une vision du monde, lui donne du sens, le sens et l’on construit sincèrement et par incompétence un monde d’impostures et finalement de mensonges.
Et par ces mystifications généralisées et naïves, on peut dire que Van Gogh a inventé le travestissement du réel, en le transformant en une « scène » faussement et lourdement tragique, et en faisant de la réalité un drame gauche et ampoulé.
Van gogh est un con parce qu’il n’est pas parvenu tout à fait à nous faire croire par sa peinture disneylandisée avant l’heure, à l’intérêt de sa vision tragique. Et Il n’a pas réussi non plus à convaincre avec ses dessins : Van Gogh dessinait en effet très mal, et n’avait aucune technique. Il faut voir, par exemple, les visages des deux fillettes, peintes en 1890, pour comprendre, ou les arrières trains de chevaux qu’il crobarda à la façon de son ami Toulouse Lautrec, mais qui, loin de la légèreté et la délicatesse de l’infirme, s’apparentent plus au trait de René Pellarin dit Pellos, artiste qui s’illustra quelques années plus tard en dessinant les Pieds Nickelés, mais qui mort à 97 ans n’a jamais pété plus haut que son critérium.
Enfin Van Gogh est un con parce que le 30 mars 1987 la compagnie d’assurances japonaise « Yasuda Fire & Marine Insurance » a acheté pour 210 millions de francs français de l’époque un des nombreux tableaux intitulé « les tournesols », donnant le signal d’une explosion artificielle des côtes du Belge et dans la foulée spéculative de tous les autres peintres. Il inventa par procuration la sur-cote artificielle de tous les Koons du marché et autre Hirst, préfigurant aussi dans une métaphore de haut vol, la dernière crise boursière qui a vu des valeurs de grandes firmes s’envoler ou s’effondrer en dehors de leur valeur réelle et objective.
Van Gogh est un con parce que depuis cette perversion, personne n’est plus capable, à son sujet d’aucun sens critique, sans doute parce que personne ne sait plus ce qu’il vaut vraiment.

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