La tentation des amalgames

Publié le 12 janvier 2009 par Fbaillot

La situation en Palestine préoccupe à juste titre chacun d’entre nous. Ce n’est sans doute qu’un avatar supplémentaire de cette guerre interminable qui dure depuis 60 ans dans cette partie du monde, par ailleurs si belle, et porteuse de tant de symboles.

J’ai tendance à penser depuis longtemps que la solution réside à Gaza, à Ramallah, à Jérusalem, à Béthléem dans la réaffirmation d’un principe dont nous avons fini par oublier la nécessité : le monde ne peut être gouverné que selon un strict respect de la laïcité. C’est un peu creux pour nous, mais dans cette zone où tous les extrémismes s’affrontent les armes à la main, ce rappel que nous affirmons, notamment dans la déclaration universelle des Droits de l’homme, édictée à peu près à l’époque où est né ce conflit, ne serait pas inutile.

Je trouve qu’on entend à ce propos toutes sortes d’opinions, dont beaucoup ont tendance à jeter le trouble dans notre conscience. Et dans ces cas-là, se référer à un sage peut être utile. Stéphane Hessel est un vieux monsieur de 91 ans. Rescapé de Buchenwald et Dora, il a été un des rédacteurs de la fameuse Déclaration universelle dont on vient de fêter les 60 ans. C’est ce qu’on appelle une conscience mondiale. Son âge ne lui a en rien fait perdre de la vigueur. Un très beau recueil d’entretiens qu’il a eus avec Jean-Michel Helvig sort ces jours-ci en librairie, et il a publié le 31 décembre dernier une magnifique tribune dans Libération, que je me permets de vous offrir. Je me retrouve complètement dans la distinction qu’il explicite entre l’antisémitisme qu’il a toujours combattu, et l’arrogance criminelle d’Israël qu’aucune excuse ne peut justifier.

“A mon âge, je ne peux pas être avare de mes indignations. Il y a quelques jours, le pseudo-humoriste Dieudonné offrait au Zénith un spectacle où il avait invité Robert Faurisson, et mis en scène un homme vêtu d’un pyjama rayé. En même temps, Israël bombarde la bande de Gaza.

Pour moi, on ne doit pas laisser impuni le spectacle abject de cinq mille personnes ovationnant le négationniste Faurisson, mais en même temps on ne peut qu’être scandalisé par l’absence de toute sanction à l’égard d’un Etat - un gouvernement intérimaire - celui d’Israël, massacrant des enfants palestiniens.

On connaît Dieudonné, c’est un hurluberlu que personne ne peut respecter, et cela n’est pas pour moi le plus grave. Le pire, ce sont ses cinq mille ovationneurs. J’ai 92 ans, et il m’est insupportable de voir que l’horreur de l’extermination des juifs par les nazis puisse aujourd’hui fournir un prétexte à faire rire. Les médias ont d’ailleurs considérablement réagi contre ce qui s’est passé au Zénith. Il va maintenant y avoir une poursuite judiciaire, donc on ne peut pas dire que l’affaire ait été passée sous silence. Cela dit, cette poursuite conduira à une nouvelle sanction dont Dieudonné se fiche visiblement. Ce sont les cinq mille spectateurs qui la mériteraient, car ils ont bafoué les droits de l’homme tels que les ont violés les nazis.

Mettre en parallèle ce qui s’est passé au Zénith et ce qui se passe à Gaza cette prison à ciel ouvert, est une double indication: celle qui nous oblige à rester vigilants sur ce qui est de l’antisémitisme, mais aussi celle qui nous impose de rester combatifs sur la violence sioniste et israélienne tout à fait inacceptable en terme de droit international.

On dit que parmi les cinq mille spectateurs du Zénith, se trouvaient beaucoup de jeunes Français d’origine arabe qui s’identifient aux jeunes de la bande de Gaza. Raison de plus pour ne pas laisser passer une démonstration comme celle-là. Mais ça ne me paraît pas vraisemblable et la présence de Jean-Marie Le Pen dans l’assistance suffit à démontrer que le public était essentiellement constitué de membres de l’extrême droite.

Mais c’est Israël surtout qui me préoccupe. Il est incroyable d’entendre l’ambassadeur d’Israël en France dire, comme il l’a fait hier sur France Inter, que 500 000 Israéliens vivent sous la terreur depuis six ans. Que nous ayons laissé sans sanction internationale le gouvernement israélien ces cinq dernières années et encore tout récemment, constitue également un crime contre les droits de l’homme. En tant que porte-parole de la Déclaration universelle, je suis personnellement scandalisé par cette impunité. Si la communauté internationale doit intervenir en Israël c’est parce qu’elle est liée par les résolutions du Conseil de sécurité, et par ce qu’on a promis à Annapolis. Or elle ne fait absolument pas face à ses obligations internationales.

Pourquoi est-elle quasi silencieuse ? Parce qu’elle est intimidée par Israël, elle redoute de se faire traiter d’antisémite, elle craint qu’on ne fasse pas toute sa place à ce peuple qui a été tellement martyrisé. Cela va à l’encontre même des valeurs du judaïsme qui sont des valeurs d’ouverture, de liberté et de réconciliation des religions : autant de mérites niés par le gouvernement israélien depuis la fin de la guerre des Six jours. La politique israélienne a combattu ceux qui militaient pour la paix (l’OLP, Oslo) et favorisé les partisans de la violence, plus crédibles, selon elle, à l’égard de la population. Si la communauté internationale n’intervient pas, on court à la catastrophe - déjà présente et meurtrière pour les Palestiniens - et à plus long terme pour Israël : car tant qu’Israël ne trouvera pas la voie vers deux Etats partenaires, il aura lui-même miné sa possibilité de survie dans le Proche-Orient.

Et il est faux de prétendre que le Hamas ne veut pas discuter. Comme l’a rappelé Marek Halter dans le Figaro d’hier, le Hamas a déjà clairement laissé entendre qu’à condition de s’en tenir à l’intérieur des frontières définies en 1967, il était prêt à reconnaître l’existence de l’Etat d’Israël.

Il ne faut pas avoir peur de la multiplicité de ses indignations. Ma génération qui a connu la Shoah et qui en a été affectée parmi ses proches et ses amis ne peut pas rester insensible, elle ne peut pas accepter, elle doit protester contre tout ce qui met en cause l’horreur de cette période.”