Armance se lève, se précipite vers l’enfant, qui pose sur elle ses grands yeux, vides, tournés vers le ciel bleu.
« Merci, madame ! » dit-elle. Puis, plus précise : « Tu sens bon. ».
La mère s’approche, à peine inquiète.
« Ma petite fille est aveugle de naissance, voyez-vous. Elle aime voler avec les oiseaux. Elle ne les a jamais vu, mais elle suit leur voyage, dans son imaginaire. Elle a le don de communiquer avec eux, partout. ».
En parlant, elle frotte les épaules de l’enfant, pour en faire disparaître le sable du jardin. Puis elle la libère. La petite fille s’envole, vers d’autres compagnons invisibles, d’autres camarades de jeu.
Armance s’est rassise. « Une petite fille aveugle », tapote-elle sur son portable. Mais elle se ravise. Cette semaine d’hôpital l’avait convaincu de passer l’amniocentèse. Pour récupérer quelques repères. La décision semblait facile, ensuite. Les médecins, Pascal, sa famille aussi, tous l’entouraient, l’aidaient. Il restait du temps, encore, pour planifier, noter les semaines en rouge sur le grand calendrier, souligner, entourer, encercler, circonscrire les jours dans des petites prisons factices, bien propres. Mais le temps a couru plus vite que d’habitude. La vie n’avance pas comme une stratégie marketing, elle ne se déploie pas dans la sérénité, la pleine lumière, le connu. La vie pousse comme une mauvaise herbe, dans la frontière des champs clôturés, derrière le tronc visible des grands arbres, dans l’ombre sous la rivière, pour rejaillir plus loin, au-delà des clairière, après la traversée des nuits arides et des petits matins. La fleur ouvre ses pétales, portée par les vents.
Non, pense Armance, les plates bandes bien droites, ces carrés de couleurs au contour rectiligne n’existent pas. Ce jardin n’est qu’illusion. Je suis aveugle, comme la petite fille. Le monde réel m’est inconnu, caché quelque part. Il faut que je m’envole, même si je tombe.
Jeu de briques
Snake
Pacman
Bubble