Magazine Journal intime
Le Bonheur
Publié le 16 janvier 2009 par Annonymise"Toute son enfance quand il venait chez sa mémé, Andrea voyait ce montre très "exposition universelle" qui donnait son sens à tout le quartier. Bête de ferraille qui raclait le rocher gris pâle. On y accédait par la rue, dans un Luna-Park miniature avec des stands de souvenirs, une buvette, un petit jardin comme au pied d'une tour Eiffel amputée. ça piaillait beaucoup de gosses et grondait de papas en canotiers. Une poussière de soleil nimbait ce décor de petite foire naïve et animée. Lépante avait enregistré dans la salle d'attente 1900 un de ces disques gravés sur carte postale où la parole remplace la plume. Pour celui qui l'a entendu même une seul fois, il est impossible d'oublier le bruit de l'ascenseur. On garde à jamais ses tympans pleins de ses poulies couinantes, ses soubresauts de rouages, ses laborieux efforts de chaînes de fantômes rouillés, toute une bimbeloterie de câbles harnachant la cage.
Poème unique ! un système hydraulique à contrepoids !
Pour utiliser la très grosse source de Notre-Dame-de-la-Garde, on avait construit deux gros réservoirs d'eau dans les cages d'ascenseur. Celui d'en haut se remplissait de 3 ou 4 m3 en l'espace de 5 minutes. On commençait par entendre l'eau qui dégoulinait du robinet énorme. Blom-blomblombrôôô... Comme un torrent. Quand c'était plein, ils fermaient. Pendant ce temps un autre en bas avec la casquette, les étoiles et tout, ouvrait une vanne et vidangeait.
Flouch ! Flouch ! Flouch ! On lâchait les freins et alors ça descendait : quand ça allait trop vite on rajoutait un peu d'eau pour faire plus lourd. Que ça descende ou que ça monte le bruit était tout aussi infernal. 84 mètres à la quasi-verticale d'un chemin de fer à crémaillère mal huilé ! Bombroloquadoum ! Brimbadabroum ! Crrrîîîî ! Quelle montée ! Un monde fou pour la pentecôte ! En principe c'étaient 50 personnes par cabine, mais ça s'esquichait là dedans ! Les réservoirs débordaient. Des mares partout ! Les passagers arrivaient trempés au panorama mistralé. En un après-midi, on se retrouvait avec une vraie cascade inondatrice. Des flaques jusqu'au bar. Pimbêches, vieillards, filles mères, poinçonneurs, tous aspergés. Un jour, un petit s'est noyé.
C'était l'ascension par le naufrage..."
Extrait du roman : "Le Bonheur" de Marc-Edouard Nabe.