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49 > Cinquantième

Publié le 18 janvier 2009 par Thywanek

Cinquantième. Exit quarante neuf. C’est fait. Voyons ce qui vient. C’est la cinquantième fois que je commence une année. Ca pourrait être la routine. C’est vrai après tout. Globalement quoi : un printemps, c’est un printemps. Un été, c’est un été. Un automne, un automne. Et un hivers, c’est l’hivers.
Mais non, bien sur.
C’est que tous les printemps ont toujours cette même force. Cette puissance mêlée de transitions difficiles, de poussées douloureuses, d’arrachements au sommeil, traversée de pluies fertiles, de fraîcheurs traîtresses, de frissons insouciants, des fatigues causées par des croissances irrésistibles. Ce recommencement où la fleur de lumière se dresse à nouveau de plus en plus haut dans le ciel. Cet encensoir de terres humides, de parures florales, d’herbages drus dont les odeurs parviennent jusqu’en ville, parce que l’idée en est portée par les vents adoucis et par les brumes, et que cela peut suffire à en iriser les visages au dessus des écharpes dénouées. Ce hall de vie sous lequel ressortent, ça n’avait pas disparu, les rires dans les squares, les concerts désordonnés dans les arbres, éclaircis d’un écho que l’air renouvelé fait tinter comme milliers de petites perles émouvantes d’indéfectible indifférence totale et souveraine.
Une chambre, où tout se serait endormi jusqu’au seuil de mourir, et dans laquelle se rouvrent les fenêtres. Dans laquelle reviennent les courants d’air.
Les étés. Aux jours de plages allongées au plus loin que se puisse aller chercher la pointe de l’aube, au plus loin que se puisse repousser l’ultime lueur crépusculaire. Aux chaleurs. Aux orages. Au sud éblouissant. Aux sueurs paresseuses. Aux fêtes brûlantes. Aux fièvres de désirs nus sous des lunes tièdes. Sous des plafonds célestes jonchés de constellations prolixes. Aux fontaines cachées. Aux reins alanguis sous les vêtements légers. La poussière sèche sur la transpiration. La douche du soir. Le ciel nerveux. Les vacances foutraques. Les longs soirs d’oisiveté. Les parades débrayées. Les impatiences avant les premiers éclairs. Les feux d’artifices. Les romans de voyages. L’or cruel du soleil. Les parfums capiteux des fleurs chauffées. Les jeux novices et hésitants. Les fournaises des verrières de gare. Les volées de cris dans les vagues. Les rêves d’aventures contre les billets retours. Les fortunes de souvenirs au tourisme des rituels.
Sommeil nu sur le lit pendant que l’air chaud de la nuit remue mollement les rideaux à la fenêtre ouverte.
Automne. Et puis l’automne. Plus rien ne tonne. L’horizon remonte vers le nord. Vendanges de tout contre l’épuisement de la nature. La paupière du jour se met à descendre plus bas. Il va falloir grappiller avec adresse les derniers instants de douceur. Sous les frondaisons où la mort dorée va éteindre les arbres. Il tombe des châtaignes aux bogues piquantes. Les affaires reprennent dans les cités. Les cimetières vont refleurir. Dans l’entrebâillement des nuages se glissent des feux lointains et mystérieux. Aller y voir. Bientôt. Mais sérieusement. Découvrir ce que c’est que cet autre étoile. La mélancolie se dérange sous les froissements que font les pas dans l’épaisseur des feuilles. Puis elle se repose et elle se fait sentir en de suaves et délicats relents de pourriture. Prochain terreau. Il pleut. Il pleure. Il refroidi. Petit à petit. Il y a de l’ambre dans l’émoi. Un sentiment de posséder quelque chose d’unique emprisonné dans un écrin de sève, pour en garder le feu immobile près du cœur pour après, quand toutes les forêts seront nues, tous les chemins boueux, tous les ciels, même bleus, mouillés, et les journées resserrées comme de petites casemates sous l’empire grandissant de la nuit et de ses épais brouillards.
Derrière les carreaux les regards penchés suivent dans la rues les gens penchés sous l’averse d’un moment ou le fin crachin de processions en jours gris.
Alors l’hivers. Annoncé à grand renfort de festivités trompeuses. Et consolatrices. L’hivers, d’abord grimé de lustres et de paillettes. Et lorsque tout est enlevé, rangé, que l’ivresse pour ne pas l’avoir trop vu venir, est passée, il est là, déjà là, il attend. Il attendait, sûr de sa longue silhouette sombre et imprécise. De ses longs doigts maigres et agiles. De son envergure aux ailes de vent glacé. De son savoir-faire d’alchimiste. De sa charnière longue où un interminable violon joue sa plainte au coin d’une rue que des passants conjurent en y jetant une pièce. De son refuge obligé derrière les murs, entre les murs, sous les toits, près des cheminées, sous les lainages, dans les pot-au-feu. Sûr de la mort romanesque pendant laquelle se fabrique sa fin à venir. Sûr de son travail sous la terre couverte de gel. Sûr que les enfants n’ont pas peur de lui. La preuve, certains voient le jour sous le manteau de ses vastes nuits.
Dans le berceau, près du radiateur, le nouveau venu sent comme la nuit peu engloutir de temps et le jour être si peu. Et cependant c’est déjà l’heure où cela recommence à s’inverser. Et ses yeux s’ouvrent de plus en plus au fur et a mesure qu’entre le début et la fin c’est la nuit qui replie ses draps.
Pourtant, pourtant pas deux printemps semblables, pas deux étés, ni deux automnes, ni même deux hivers. Sur les temps qui paraissent se répéter, il y a celui qui passe. Celui qui disparaît à chaque pas. A chaque mot. Dont les limons s’emmagasinent et sont traités par l’usine à mémoire dont on essaie plus ou moins de régler les curseurs. Avec des pinceaux, des plumes, quelques honnêtetés, quelques sournoiseries, des aiguillées de fils blancs, ou pas tellement blanc, ou qu’on voudrait transparents. Mais on ne peut pas tout. Et puis ce n’est pas fini. Loin de là.
Rien n’est fini.
Il paraît d’ailleurs que les capricornes sont ainsi. Ils ont le temps avec eux. Ca m’arrange bien je dois dire.
Cinquantième. Saint quand t’y aimes. Saint quand tu aimes. Je joue avec. Saint : pourvu que non. Quand : jusqu’au bout. Jusque toujours. Jusque jamais. Jusqu’à la dernière vague. La dernière rose. Je m’entraîne aussi pour ça. Jusqu’au dernier regard. Et dans le flou qui suit et l’évanouissement de la dernière lueur. Et bien après, peut-être, le dernier autre. La dernière indécence avec son petit feu têtu. T’y aimes ? Tu aimes ? Tu parles si j’aime ! Est-ce pour cette raison ? Et si c’était l’inverse… Et même plus moi. Plus besoin. Juste ce qu’il faut pour que ça fonctionne. Et comprendre. La distance parcourue oui. Plus de la moitié à présent, sans doute. Rien d’autre que l’inquiétude qui change de coté. Faire la part ainsi de ce qui change et de ce qui ne change pas. De ce qui devrait changer et de ce qui est immuable.
Et de la même manière que des lambeaux de chrysalides, continuellement se détachent de la vie qui avance, morceaux inanimés d’importance déchue, des peaux mortes qui ne protègent plus rien, et ce qui reste trouve alors son existence propre, son utilité, sa liberté, son énergie ressourcée. Ce qui n’a nullement changé, finalement, sous la répétition des déguisements, sous la manie des apparences.
Je me demande si vieillir ce ne serait pas se dénuder. De l’intérieur. Se garder, c’est légitime, des atteintes extérieures de la corrosion. Se préserver de la rouille. Mais au fond de soi laisser venir l’être sans yeux qui voit tout. L’être sans oreilles qui entend tout. L’être sans bouche et qui murmure. L’être absent sans qui rien n’a de sens même justement insensé.
L’idiot assis sur ses bagages et qui progressivement, oui, progressant, se débarrasse du surplus des intelligences importées, trie le malgré tout du livre d’airain, découpe les pages, rejette les balises dont des racines obstinées ont figées la parole de plomb dans des terrains aux strates envahies d’épouvante historique, déshabille l’amour de sa ronde immature, qu’on affecte lorsqu’il semble qu’il faille se séparer des éclats de l’enfance pour jouer des rôles.
Apprendre à vivre la parole autre. Reformuler l’intransigeance. Et imaginer que la guerre qui est née avant soi s’achève aussi avant soi.
La guerre. Celle dont je ne dis rien. Parce que les mots m’étranglent. Celle d’en ce moment, même si toujours parmi d’autres. Celle qui se réinvente d’elle même, régulièrement, comme un rosier remontant aux épines mortelles et aux fleurs asphyxiées de mensonges. Celle dont entretiennent la forge du malheur, les sorciers du désastre. Celle qui éclate des gamins en morceaux sur des murs éventrés. Celle qui rampe inlassablement et fige une injustice constituée en droit comme un poison définitif. Et je pense à un des plus ardents et des plus abominables promoteurs de cette guerre en ce qu’elle est aujourd’hui. Il déambulait, il y a quelques années, reconnaissable entre tous par son ventre qui le précédait. Son ventre incroyablement proéminent. Sa grossesse monstrueuse. A se demander comment cette chose pouvait tenir debout et se mouvoir. Et lorsqu’il a eu fini d’accoucher de son affreuse progéniture, nourrie de sa haine, il est tombé dans le coma. Il y est toujours. Je l’imagine. Sur son lit d’hôpital, ou ailleurs ; les tubes qui le maintienne artificiellement comme vivant ; et les longs pans de peau vide de sa panse qui pendent autour de lui, atroce dépouille de sa puante victoire.
Les eaux du bassin de la Villette achèvent leur dégel. Je me suis promené toute la matinée dans la ville calme et presque silencieuse. Et mon petit assassin chantonnait en moi le goût de l’eau, le goût du pain et celui du perlimpimpin …
Fragment d’intemporalité.

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