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Le voyage en stop ( gballand )

Publié le 18 janvier 2009 par Mbbs

Je l’ai laissé réciter son catéchisme*, rien de tel pour mieux comprendre un type, mais quand même, pour qui il se prenait ce vieux con… 30 ans de plus que moi, une bedaine confortable, des joues qui s’affaissaient, un look de presque retraité et il se mettait à me susurrer des choses bizarres  et à me mettre sa main sur les genoux alors que j’étais dans sa voiture depuis à peine une demi-heure. « Connard ! » Ça c’est ce que j’ai pensé, mais je ne le lui ai pas dit …

- Vous êtes mariée ? Je lui ai demandé, l’air de rien, en lui enlevant sa main qui se faisait insistante.
- Oui… mais …
- Mais quoi… ?

Là j’étais sûre qu’il allait me débiter le chapelet habituel, que sa femme et lui faisaient chambre à part,  qu’il ne couchait plus avec elle qu’une fois par an, qu’elle ne l’attirait plus, qu’elle était frigide…

- Ma femme… a d’autres chats à fouetter  !

Si j’avais été franche, je lui aurai répondu que ça ne m’étonnait pas, mais je n’ai pas pu. Il avait l’air un peu perdu dans son costume sombre et, après tout, en deux ans de stop, c’était la première fois que j’entendais cet argument. Je pouvais lui accorder une petite grâce…

- Qu’est-ce qu’elle vous reproche  ?
- Ce que je suis.

Là il marquait un autre point. Sa main était revenue sur le volant et il regardait attentivement la route, perdu dans ce que j’imaginais être la grisaille de ses pensées. J’avais bien une question qui me titillait le bout de la langue, mais est-ce que j’allais pouvoir…

- Et vous ?
- Quoi, moi ?
- Vous l’aimez ?
- Je la hais !

Et au moment où il prononçait ces mots, il s’est tourné vers moi en ajoutant.

- Je hais toutes les femmes !

A ce moment, les choses auraient dû  me sembler claires, mais il a fallu que j’ajoute.

- Pourquoi m’avoir pris en stop alors, puisque je  suis une femme ?
- Pour me donner une raison supplémentaire de les haïr, a-t-il dit bizarrement.

Ce type était barge, c’était certain, et il cachait sa folie dans son costume sombre. J’ai compris que je devais me tirer de sa voiture le plus vite possible ou alors il pourrait m’arriver un gros problème…

- Vous avez peur ? Vous croyez peut-être que je vais vous violer ? me dit-il soudain.

Je suis restée silencieuse.

- Et puis vous tuer ensuite ?

Je ne pouvais pas le laisser raconter de telles conneries sans rien dire. Dans un souffle, je lui ai répondu.

- Vous me faites pas peur, c’est pas la première fois qu’on me raconte des salades quand je fais du stop !
- Je vais vous faire une confidence, me dit-il tout de go, j’allais me tuer !

Silence. J’ai eu dû mal à déglutir et je n’ai rien trouvé à lui répondre.

- Alors ? A-t-il repris presque provocateur.
- C’est votre vie après tout ! Et ça, je l'ai dit sans réfléchir ; maintenant, je regrette.

Il a fait le reste du voyage sans rien dire, les deux mains sur le volant. Il avait mis la radio qui gueulait des vieux tubes des années 70, et moi je regardais fixement le paysage qui défilait, pour ne pas croiser ses yeux. Avant l’entrée de la ville, il a freiné brusquement et m’a dit.

- Sortez !
- Vous voulez que je descende ici ?
- Oui, j’ai à faire.

Je suis descendue en articulant un « merci » et rien d’autre. Le lendemain j’ai acheté le journal local, une intuition, et il y était. Il ne faisait pas la une, mais la deuxième page. J’ai appris qu’il avait un garage, une femme et une fille de 23 ans. Le même âge que moi, ça m’a fait drôle. Maintenant, je ne peux pas l’oublier.

* citation extraite de l’été meurtrier  de Sébastien Japrisot


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