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Désolé de...

Publié le 19 janvier 2009 par Didier T.

La scène se déroule dans une usine en grève. Ceci est bien évidemment une fiction.
« On écoutait religieusement les nouvelles avec un petit chaud au cœur à chaque annonce supplémentaire. Deux jours avant, on était des gens comme tout le monde. Ou ce que certains voudraient qu’on soit ! Des producteurs consommateurs obéissants qui n’avaient pas peur de faire ni du crédit ni des enfants. Ces pions qui multipliés par des millions fabriquent quelques grandes fortunes et alimentent un équilibre d’ensemble dont on s’efforce de cacher les misères. Ce rouage de la guerre économique qui n’a finalement pour se battre que sa bite et son couteau et qui se trouve à poil quand d’autres le décident. Et c’est une fois sans défense que l’on constate qu’il y a déjà du monde tout nu. Le discours officiel nous apprend à les haïr, ces assistés mendiants de l’Etat providence, ces gens qui touchent le chômage sans rien foutre. Mais finalement, ces gens-là sont ceux qui nous ressemblent le plus, dont on est le plus proche. Ceux en qui un comité de direction nous transforme.
Il avait suffi d’un bout de papier, d’un coup de matraque pour que le voile que l’on avait posé sur le monde se dissipe.
On avait tout cru, mordu fort à l’hameçon. On se croyait différents. On avait un travail parce qu’on le méritait, parce qu’on avait toujours mis de la bonne volonté, qu’on s’était efforcé d’arriver à l’heure, de faire du bon boulot. Les deux cents premiers à avoir été virés ? Les cinquièmes roues du carrosse ! On s’était dit qu’en fait c’était une bonne occasion pour séparer le bon grain de l’ivraie. Après ça irait mieux… Resteraient les spécimens consciencieux, les bons salariés, avec un savoir-faire, de l’expérience et tout et tout…
Mais on a tous été virés, d’un coup, les chefs comme les subordonnés. Alors que statistiquement, il y avait forcément des très bons dans le lot puisqu’on partait déjà des meilleurs… Alors qu’est-ce qui faisait qu’on gardait encore notre boulot ? Ben… le… enfin c’est que… c’était… Bah à vrai dire, c’était juste qu’ils voulaient bien nous le laisser. Un peu comme du mécénat. Parce que notre valeur ajoutée, notre motivation, nos compétences, tout ça, c’est des grosses conneries ! Du jour au lendemain, on s’essuie les fesses avec. On déménage dans un autre pays où les gens connaissent rien au métier. On n’est ni plus ni moins que de grosses merdes, qu’on déplace avec le bout de la chaussure, sans dire pardon.
On s’était laissé endormir…
Et mieux que des suiveurs hypnotisés, on s’était converti en prêcheurs convaincus. On avait intégré la compétitivité et la flexibilité dans nos discours et on avait fini par admettre que tout ça avait quelque chose de naturel. Ça sonnait bien quoi… tant qu’on était du bon côté. On applaudissait même quand les forces de l’ordre envoyaient des coups de savate dans les roubignolles de jeunes trous du cul crachant sur ce capitalisme qui leur donne pourtant la bouffe et le temps de faire leurs manifs de nantis. On n’aurait sûrement pas réagi à une évacuation musclée de grévistes « irresponsables » qui mettraient en danger la « croissance » et risqueraient de coûter zéro virgule zéro zéro zéro un point au PIB de la nation ! Et puis d’abord, c’est quoi le PIB ? On se posait la question pour la première fois. Personne n’avait la réponse. Le CAC40, tout ça…
« Le CAC40 a perdu trois points à deux mille six cents points. »
Mais c’est quoi des points ? Sont pas allés à l’école ceux-là ? On dit pas un chiffre sans son unité. C’est des patates ou des carottes, mais des points c’est pas une unité ça ! C’est quand même con de gober ça une vie entière alors qu’on met des torgnoles aux gamins pour qu’ils le fassent pas. Pourtant c’est important, le CAC40, ils en parlent toutes les dix minutes à la radio. Et la croissance, pareil, pas la moindre idée de ce que c’est exactement. On a l’air fin après, quand on va voter pour un mec parce qu’il nous annonce qu’il peut augmenter la croissance de un virgule cinq. Un virgule cinq quoi ? Pour cent ? Pour cent de quoi ? Et mon salaire ? Les points de croissance ça se converti en euros à la fin du mois ? C’est proportionnel ? On dirait pas… »
Extrait de « Tripalium » de Lilian Robin, publié chez les éditeurs libres.Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu

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