Fin de matinée, dimanche matin, un appel du 15:
(Mokaiesh - Comme elle est belle.... la France - Excellent groupe et magnifique chanson , la relève de Noir Désir ?)
15: "Dr X., on aurait besoin de vous pour une dame de 92 ans, une virose ORL"
En fait, il me semble que c'était le 15. Dans le département il y a 2 numéros pour les appels médicaux en garde.
Le "15" à proprement parler, le "SAMU" , plus exactement le CRRA ( Centre de réception et de régulation des appels (ou Centre 15) )
Ce numéro est sensé recevoir et répondre aux appels urgents, les détresses.
Nous avons un autre numéro, un 08XX (rassurez vous, numéro vert ou à coup local, pas un truc à la TF1 ou autres entreprises ou il vous font payer par téléphone le simple fait de dire bonjour). Lui il est sensé recevoir toutes les autres demandes médicales.
Sur le plan pratique, ce sont 2 centres d'appels:
- avec des permanenciers (les PARMS) qui répondent aux appelants, prennent leur identité, leur coordonnées, tentent d'avoir un aperçu du degré d'urgence, rôle important, faut pas qu'ils se ratent : c'est bien de savoir qu'il y a une détresse quelque part, mais si on ne sait pas y aller par manque d'informations, ca le fait plus.
Hors dans la détresse (un accident de voiture, papa qui s'étouffe dans la cuisine, le petit qui vient de se bruler avec le fer à bruler, etc etc) la réaction la plus courante est un état de panique ,d'appel à l'aide ("vite vite vite venez vite c'est urgent.. mais vite je vous dis "). Les demandes d'informations par ces PARMS est souvent perçu comme une perte de temps, voire un détail par les victimes ou les témoins. Il arrive bien souvent que le ton monte, d'un coté comme de l'autre, le traitement de l'urgence ne se fait pas de la même manière.
- avec des médecins: du coté du CCRA (centre 15), les régulateurs sont souvent des urgentistes ou des anesthésistes (le samu ayant été crée par un anesthésiste toulousain, le Pr Louis Lareng en 1968). Lors de mes 6 ans "urgentiste", on fonctionnait par garde de 24h tantôt sur le poste de régulateur (le médecin que vous avez au téléphone), tantôt de smur (le médecin qui vient avec l'hélico), tantôt "urgentiste" (celui qui vous reçoit aux urgences). Bien souvent celui qui était de "smur", était aussi "d'urgences", aidant à la prise en charge des patients à leur arrivée à l'hopital.
Du coté du 08XXXXX, les médecins qui répondent aux appels sont des médecins généralistes libéraux sélectionnés parmi les volontaires.
Dans mon département, les 2 structures sont au même endroit, et sont donc inter connectés. Un dossier ouvert par un médecin sur le 0800XXX est accessible en temps réel par un médecin du CRRA15. A partir d'une certaine heure (22h ou Minuit je sais même pas), seul le CRRA prend les appels, et le 08XX est redirigé sur le 15.
Si je comprends bien cette distinction des numéros, afin de limiter les blocages du CRRA pour des "petites pathologies" et laisser leur ressources disponible pour les urgences "graves", je trouve bien optimiste de penser que la population puisse faire le distinguo.
Le papi de 92 ans de 5h du matin, par définition fragile, qui se vide d'en haut, et d'en bas, dans un tableau bruyant relève t il du 08XXX ou du 15 ? (Est-il en train de faire un collapsus sur hypovolémie dans un contexte d'insuffisance cardiaque traité par diurétique à forte dose, et donc , en train de mourir, ou n'est ce qu'un petite gastro du coin chez un sujet âgé stressé) . Peut on réellement espérer que la population , dans l'urgence, et le stress, puisse correctement faire la différence ?
Tout ça pour dire, que je serais plutôt en faveur d'un numéro unique simplifié, (pas forcément le 15.. mais il a au moins le mérite d'être déjà là … ), et que je ne peux , de tête, même pas vous dire le numéro 08XX en entier pour mon département.
D'autant plus, que quand les toubibs de ces centres m'appellent pour me rendre sur une « intervention », c'est à partir du même numéro, un numéro régional attribué au CHU du département.
Sur mon portable, s'affiche donc « SAMU XX » quand ils appellent pour :
15: "Dr X., on aurait besoin de vous pour une dame de 92 ans, une virose ORL"
Je me rends au domicile, un petit quartier, de notre petite ville. Je me retrouve face à un couple de personnes (très) âgées, qui ont plus de médicaments , de lits médicalisés et autres déambulateurs, que de photos de familles dans une maison à 3 pièces.
Le papi, canne à la main, se déplaçant difficilement, m'amène auprès de sa femme dans la pièce à coté.
Lui: « Bohhh. Elle est pas bien. Elle a mal la gorge. C'est la grippe »
Discours aussitôt repris par cette vieille dame, allongé sur son lit.
Elle; « J'ai le nez qui coule, et ca pique à la gorge. »
Lui: « Depuis mercredi ! Elle a pas voulu qu'on appelle le Docteur ».
Je m'assure de ces antécédents, c'est une dame hypertendu traité par un antihypertenseur, pas grand chose de particulier par ailleurs.
L'examen retrouve effectivement un nez qui coule et quelques rougeurs au fond du pharynx.
La tension artérielle est un peu basse pour une hypertendu, 11/6. La grosse surprise provenant d'une forte irrégularité de son coeur, une fibrillation auriculaire.
Nous sommes donc, devant une altération de la fonction cardiaque probablement décompensé par une simple virose hivernale, qu'elle soit grippale ou non.
Moi: « Madame, votre coeur bat irrégulièrement, il bat la chamade, ca doit vous fatiguer »
Elle: « Oui je suis fatigué, c'est la grippe. Le Dr X m'a toujours dit que mon coeur allait bien »
Moi: « Il allait bien, mais là, avec l'infection il va pas bien, il marche mal. Il faudrait pas qu'il s'arrête, ou qu'il vous remplisse le poumon d'eau, vous savez, l'oedeme du poumon. On respire mal quand ca arrive, et parfois on peut en mourir ! »
Je m'en vais parler avec son mari, lui reexpliquant la situation, et lui indiquant qu'il faut hospitaliser son épouse. Il me répond « oui » trop rapidement, alors je reexplique, à lui et son épouse, tout en appelant le 15 pour passer un bilan.
Moi : « Je suis donc chez X., 92 ans, hypertendu traité, actuellement à 110/60 de TA, pour virose respiratoire. Elle pose le problème d'un FA à priori non connu, dans un contexte asthénique. »
Le régulateur du 15: « Il faut l'hospitaliser. Je suis d'accord. Ou tu veux qu'on l'envoie à XXX ou à XXX ? »
Moi: « 2 secondes. Je leur demande... »
Moi : « Madame, vous préférez aller à XXX ou à XXXX ? »
Elle: « Non non non . Je ne vais pas à l'hôpital. »
Moi: « Votre cœur marche mal. Vous ne pouvez pas rester ici. Je ne peux pas vous le traiter à la maison »
Elle: « C'est une grippe, ca passera. Je ne vais pas à l'hôpital »
Le régulateur qui entend toute la conversation, me rit (confraternellement et amicalement) au téléphone.
Régulateur: « Ahh … le classique. Tu peux joindre son médecin traitant au téléphone ? Ou essayer de convaincre le mari ? »
Joindre son toubib « non de garde » un dimanche... même pas la peine d'y penser.
Son mari ? Je reexplique la nécessité et le danger potentiel de la situation. Il se tourne vers elle en disant « Oh vous savez, c'est elle qui décide » et elle embraie à nouveau sur un
Elle: « Non, Non, Non. Je ne vais pas à l'hôpital »
On tente de savoir s'il y a de la famille qui pourrait intervenir. Personne, ils sont seuls dans le coin, il y existe des cousins vivant à plusieurs centaines de kilomètres, ils ne les voient jamais, et ils ne savent pas (ou ne veulent pas nous donner) le numéro de téléphone.
Après plusieurs minutes de tentatives infructueuses, ça se conclut par un courrier pour les urgences, au cas ou son état s'aggraverait, cas dans lequel , il suffirait qu'ils appellent à nouveau le 15, pour qu'on vienne aussitôt les chercher.
Début de soirée, un peu moins de 20h, le 15 me rappelle.
Régulateur: « Dr X ? Nous aurions besoin de vous pour aller voir une dame de 92 ans habitant au.. »
Moi: « Mais heu.. C'est la dame vu tout à l'heure ! Elle est en FA. Ils ont refusés l'hospitalisation, et devaient vous rappeler s'ils changeaient d'avis. »
Régulateur: « Pourriez vous allez les voir ? Ou appelez le mari pour voir s'ils sont d'accords ? Il a l'air complètement perdu »
J'appelle et tombe sur le mari:
Moi: « Ca va pas mieux ? Elle est d'accord maintenant pour être hospitalisé ? »
Lui : « Oh non ca va pas mieux. Elle perd la mémoire là , elle disait n'importe quoi tout à l'heure! »
Moi: « Je peux dire qu'on vous envoie une ambulance pour venir la chercher alors ? »
Lui: « Oui. Il faudrait qu'ils viennent vite. »
Rappel du 15 pour qu'ils envoient l'ambulance.
15 minutes après, en pleine consultation avec une patiente d'une soixantaine d'année, pour douleur de l'estomac « atypiques » qui « part vers le cœur » (elle est du milieu médical, et n'a pas l'habitude de s'alarmer pour rien), je reçois un coup de fil … des ambulanciers.
(Oui ils ont mon numéro, nous sommes en campagne, il y a que 2 compagnies d'ambulance, et on se connait tous...).
Ambulanciers: « Docteur X, vous avez demandé une ambulance par le 15 pour Mme X. On a un problème. Je crois qu'elle est morte ».
Moi: « Non ? Merde merde merde. J'arrive ».
Je laisse en plan la patiente en cours, j'allais lui faire un electro cardiogramme pour ses douleurs. Je la laisse dans le cabinet , avec son mari, j'ai confiance en ces gens. Elle comprend à ma tête et ma réaction, qu'il y a une situation grave. Je lui esquisse la situation, et elle comprend tout à fait que je quitte la consultation pour me rendre chez ces personnes âgées.
Retour au domicile, un des ambulanciers, qui est aussi un de mes patients, m'accueille en me glissant « Elle est morte c'est sur. On a rien dit à son mari, on attendait que tu arrives ». L'ambulancière (ils fonctionnent en binôme) qui l'accompagne, vient à son tour à ma rencontre. « Je crois qu'il a compris, il a une larme à l'œil ».
Je fonce dans la chambre, je retrouve Mme X, dans l'exacte même position du matin. La bouche entrouverte, de couleur grise pale si typique du cadavre, les yeux entre-ouverts, déjà voilée.
Rapidement, je lui cherche un pouls sur les carotides, regarde ces pupilles qui sont déjà bien dilatées (« plein phare » comme on dit dans le milieu), lui écoute la région cardiaque qui ne laisse passer aucun bruit de battement. Elle est bel et bien morte.
Grand moment de solitude et de détresse. Le papi est perdu. On a clairement servi à rien, on aurait sans doute pu la sauver, même à 92 ans, si elle avait été hospitalisé. Elle a fait cependant son choix, malgré la répétition des informations du danger de la situation. Paix à son âme.
C'était apparemment la matrone de la maison, c'est elle qui sait ou sont les « papiers ». Son mari, est complètement paumé, pleurant la mort de sa femme, regrettant les circonstances. « Mais ou vais-je dormir ? Qu'est ce que je vais faire ? »
Merci aux ambulanciers (et cières) qui ont accompagné le mieux qu'ils pouvaient ce papi, comprenant le coté catastrophique et sans solution de la situation. Le médecin régulateur que je joint au téléphone, accepte quelque chose qui n'est pas vraiment dans les compétences du Samu. Il accepte de prendre le papi une nuit à l'hôpital. Le temps que tout le système post-mortem (les pompes funèbres, l'assistance sociale, l'aide à domicile, les services de la mairie) s'organisent. Merci à lui d'avoir accepté, et merci aux services d'urgences qui ont bien du me maudire de recevoir cette urgence non médicale, cette urgence « sociale ». Il n'existe pas de structures pour recevoir des gens dans la détresse comme ce monsieur. Pire encore, les changements en cours concernant les tarifications à l'hôpital considèrent ces gens comme « non rentables » car « non quotables » et n'ayant pas de pathologie spécifique, on ne les veut pas à l'hôpital ! Heureusement qu'humainement parlant il y a des disgressions dans les comportements, ce qui a été ce soir mon cas, et celui du régulateur. (Et les urgences... par force... ) . (Merci la T2A, les concernés comprendront).
Concernant le décès de cette vieille dame.. c'est les boules. D'accord elle avait 92 ans, d'accord chacun est maitre de ses choix, surtout quand ça concerne le bien le plus précieux de chacun, la liberté et la vie. Mais.. mourir connement comme ça, alors qu'on aurait pu éviter ? Aurait il fallu qu'on l'oblige ? Qu'on fasse comme pour les « fous dangereux », un « internement » contre leur grè ? Ça laisse cette garde du week-end très amère. Une forte impression de travail mal fait, qu'on aurait pu faire mieux.
Post-Scriptum: la dame que j'avais laissé au cabinet avec son mari, auprès de laquelle je suis retourné 30 minutes après l'avoir laisser, était en train de faire un « Syndrome de menace » (un pré-infarctus...) qui s'est fini par une intervention hélico. Cette info pour les médecins qui pourraient avoir un frisson « médico-légal » devant l'enchainement des évènements.