Tout va très vite, maintenant, en plein dans la cible. Plus de temps mort, pas un moment perdu, enveloppement, lucidité, repos et vertige. Soleil nouveau chaque jour, bleu, gris, froid, chaud, pluie, vent, c’est pareil, mais derrière, à chaque instant, la lumière fait signe.
Ainsi commence le dernier roman de Philippe Sollers, « les Voyageurs du Temps ».
On s’est souvent moqué de Sollers (ses reniements, avoir été maoïste, avoir fondé Tel Quel, et avoir abandonné tout ça, s’être mis à adorer le Pape et les Saintes Ecritures… mais, bon, il y a prescription, et puis on peut bien admirer qui on veut, on est en république, quand même), or une chose est sûre à propos de Sollers : c’est un sacré génie de l’écriture. Chaque page est une leçon. De quoi parle son dernier roman ? de rien. Ou plutôt si : de la littérature. Après tout, est-il un sujet que la littérature peut mieux traiter qu’elle-même ? Via un prétexte : une réflexion sur le temps ou plutôt faudrait-il dire, les temps. Les grands écrivains, mais pas seulement, les grands musiciens aussi (Bach, surtout joué par Glenn Gould), et les peintres (Watteau entre autres) sont les voyageurs du temps. Sollers parle donc de cette littérature dont on sait qu’elle n’a jamais changé quoique ce soit dans le monde (un poème de Rimbaud a-t-il changé le cours des choses ?) si ce n’est que lorsque des êtres s’adonnent à la lecture (ou à l’écriture) au moins on est sûr d’une chose : c’est que dans le même temps, ils ne commettent pas d’horreurs, ainsi que le disent souvent les mères à propos de leurs enfants turbulents (« quand je l’entends jouer aux billes, je sais au moins qu’il ne fait pas de bêtise »). Et des mères, justement, il est question, dans ce livre. Mères étouffantes, mères qui n’aiment pas la poésie, mère de Baudelaire, ou de Rimbaud, ou de… Houellebecq (sic !).
Lire Sollers à Ushuaïa peut sembler incongru. Etre à Ushuaïa est incongru, quand tant de fracas et d’horreurs assourdissent le monde. Alors qu’ici, c’est la rumeur des vagues et le souffle du vent faisant craquer les grands arbres longs et fins comme des allumettes qui couvrent entièrement les plaintes, celles des gens de Gaza tout autant que celles, venant des années anciennes, des enfermés des camps improvisés de la dictature argentine à l’époque de Videla ou de Galtieri. Mais ne faut-il pas de temps à autre se mettre dans un endroit reclus et éloigné de tout pour ne plus entendre les hurlements du monde et être sensible au temps : nous y revoilà (le lien avec Sollers n’est donc pas si absurde). A quoi sert (aussi) le voyage ? A s’y retrouver avec le temps : il nous fait défiler nos souvenirs dans nos têtes. Où ai-je déjà vu paysage semblable ? Te souviens-tu de la fois où nous avons marché si longtemps dans le Nord canadien, comme aujourd’hui nous le faisons au bord du canal de Beagle ? C’est que, voyez-vous, quand nous voyageons, le Temps voyage avec nous
Derniers fuégiens (autour de 1920)
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