Naaman 9 Acte V scène 2 (b)

Publié le 17 décembre 2008 par Lilianof

NAAMAN

Je ne plongerai pas dans ce fleuve imbécile !

Peut-être abrite-t-il aussi des crocodiles.

GUÉHAZI

Ou bien il est idiot et non pas à demi,

Ou il le fait exprès pour tromper l’ennemi.

LÉA

Je ne te dis plus rien car tu me décourages.

Laisse ta maladie achever ses ravages.

NAAMAN

Bon ! J’y vais !

GUÉHAZI

   Mais depuis le temps qu’il nous le dit !

NAAMAN

Je n’hésite donc plus. Me voilà bien hardi.

LÉA

Pince-toi fort le nez.

NAAMAN

         J’enfonce dans la vase.

Les sables sont mouvants.

GUÉHAZI

      Il lui manque une case !

NAAMAN

Mais je sens sous mes pieds grouiller des vers hideux.

Bon ! Il faut s’immerger. À la une, à la deux…

GUÉHAZI

À la trois !

(Naaman s’immerge et ressort aussitôt.)

LÉA

      Ta baignade a-t-elle été mortelle ?

NAAMAN

Sans mentir, je connais des rivières plus belles.

Reprenons notre route, car je t’ai obéi.

LÉA

Ton mal, cher Naaman, a-t-il été guéri ?

NAAMAN

Non.

LÉA

   Non ?

GUÉHAZI

      Non ?

NAAMAN

   Je savais bien que cette corvée

N’était que tromperie, bernerie achevée.

Ce prophète Élisée doit bien rire de moi.

LÉA

Le prophète Élisée avait bien dit : « Sept fois ».

NAAMAN

Sept fois dans ce bouillon faut-il que je séjourne !

LÉA

Six fois dans le Jourdain il faut que tu retournes.

NAAMAN

À quoi cela sert-il ?

LÉA

   Exerce donc ta foi.

Fais confiance à Dieu.

NAAMAN

   Enfin, pourquoi sept fois ?

LÉA

De la perfection le sept est un symbole.

Le sept, c’est Adonaï et sa sainte parole.

Dans le temple sept branches a le chandelier :

Sept lampes : l’Esprit-saint au Créateur lié.

Sept fois dans le Jourdain, superbe analogie.

GUÉHAZI

Et la voilà partie dans sa théologie !

NAAMAN

Eh bien ! Recommençons. Ne perdons pas l’espoir.

(Il s’immerge.)

LÉA

Deux.

NAAMAN

   Si quelque progrès au moins je pouvais voir !

LÉA

Il faut persévérer.

(Naaman s’immerge.)

      Trois.

NAAMAN

   C’est fort inutile.

Faut-il continuer encor ce jeu débile ?

LÉA

Il a dit : « Sept fois. »

(Naaman s’immerge.)

      Quatre.

NAAMAN

      Ah ! je tiens le bon bout.

Mais pour la guérison je ne vois rien du tout.

(Naaman s’immerge.)

LÉA

Cinq.

NAAMAN

   Non, vraiment, Léa, ça ne vaut pas la peine.

Je te dis qu’Élisée en bateau nous promène.

GUÉHAZI

Fais ce qu’elle te dit !

LÉA

      Fais ce que je te dis.

J’ai confiance en Dieu, et, je te le prédis :

Au septième plongeon ta vie sera changée.

NAAMAN

Je crois qu’à l’écouter mon âme est dérangée.

Allons !

(Naaman s’immerge.)

LÉA

   Six.

NAAMAN

      C’est assez ! Nous rentrons en Syrie.

LÉA

N’as-tu pas encor vu ta servante en furie ?

La victoire est à toi et tu peux l’embrasser.

Au but enfin rendu prétends-tu renoncer ?

Tu comptes en Syrie t’en retourner bredouille ?

Naaman, mon ami. Tu n’es qu’un plat de nouilles.

GUÉHAZI

Comme elle y va !

NAAMAN

      De nouilles ? Dis, Léa, s’il te plaît,

Un peu de déférence et un peu de respect !

Et ne t’avise pas, surtout de me déplaire

Ou tu verras brûler le feu de ma colère.

GUÉHAZI

Plonge et tais-toi !

LÉA

      Pardon si j’ai le verbe vif,

Mais pour ta guérison tu connais le tarif :

Juste encore une fois, ce sera la dernière.

GUÉHAZI

Pour un malheureux bain comme il fait de manières !

NAAMAN

Dans cette vase infecte il faut plonger encor !

LÉA

Tu as plongé six fois et tu n’en es pas mort.

(Naaman s’immerge.)

Et sept.

NAAMAN

   Et me voici couvert de ridicule.

Je ne vois nullement que ma lèpre recule.

Retournons en Syrie.

LÉA

   Oui, nous pouvons rentrer.

Ne sens-tu pas ton corps de l’Esprit pénétré ?

·   NAAMAN

C’est vrai, je me sens bien, et mon âme est à l’aise.

Mon cœur est soulagé de ses pensées mauvaises.

LÉA

Est-ce tout ? N’as-tu rien constaté de nouveau ?

NAAMAN

J’ai, comme le serpent, une nouvelle peau.

Voici la maladie carrément disparue.

Oh ! Combien j’étais sot de ne pas t’avoir crue !

GUÉHAZI

Mon maître est un champion, il faut bien l’avouer.

Maintenant, Guéhazi, c’est à toi de jouer.

(Guéhazi sort de sa cachette.)