Air Force One (l'obamania pour les nuls)

Publié le 21 janvier 2009 par Corcky


Hier, en te levant, tu avais le sourire, ami lecteur.
Hier, au réveil, tu as réalisé que tu pouvais enfin oublier le récent conflit dans la Bande de Gaza, les SDF morts de froid ces dernières semaines, la crise économique actuelle, l'industrie automobile qui dégringole, le chômage qui bat tous les records, les tarifs des mutuelles qui explosent, les allocations qui diminuent et la suppression du juge d'instruction.
Tu as compris que tu pouvais tirer la chasse sur les bonus faramineux des banquiers, la hausse des tarifs à la SNCF, celle de la délinquance, la surpopulation carcérale et la fusion ANPE-Assedic, sans parler de ces ridicules conflits africains, de l'épidémie de choléra au Zimbabwe ou du réchauffement climatique.
Du coup, tu souriais.
Tu as repoussé ta couette Barack Obama® d'un joyeux coup de pied, tu t'es précipité sur ton radio-réveil, que tu as calé sur ta fréquence préférée, et tu as écouté pendant quelques secondes la douce mélodie que te chantaient tes journalistes favoris ("Oooooh, yes, we can, yes, we caaaaaan...").
Tu t'es ensuite dirigé vers la salle de bains, où tu t'es dépouillé de ton pyjama en pilou Barak Obama®, et debout devant ton miroir, tu as adressé un clin d'oeil à ton reflet, qui te l'a rendu avec, en prime, un de ces sourires Ultrabright
dont Hollywood a le secret.
Tu t'es saisi de ta brosse à dent Barack Obama® et tu t'es appliqué à débarrasser tes gencives des reliefs du banquet de la veille (un dîner entre amis pour célébrer l'intronisation de Barack Obama®).
Sous la douche, tu t'es langoureusement savonné pendant de longues minutes avec ton nouveau gel douche Barack Obama®, puis tu t'es vigoureusement séché à l'aide de ton drap de bain Barack Obama® (si doux, si enveloppant, mais c'est normal, tu l'avais mis en machine avec le nouvel adoucissant Barack Obama®), et tu as enfilé avec détermination ton tee-shirt Barack Obama®, ton slip Barack Obama® et ton pantalon en toile, avant de te glisser douillettement dans un polo Barack Obama® acheté chez Agnès B.
Tout en sirotant ton café dans ton nouveau mug Barack Obama®, tu as pris le temps d'aller consulter les nouveaux commentaires postés sur ton blog (un blog sur lequel, depuis des mois, tu avais pris soin de disposer des calicots Barack Obama® de toutes les tailles, ainsi qu'un décompte virtuel des jours qui te séparaient de l'élection de Barack Obama®, sans parler des GIF animés clignotants qui proclament "Change we can believe in").
Alors que tu quittais ton appartement, tu as croisé, dans le hall, la gardienne de ton immeuble, madame Rodriguez, à qui tu as offert ton sourire tout en blancheur avant de lancer, sans pouvoir t'en empêcher, un vigoureux et sonore "Yes we can!" qui, curieusement, a semblé la laisser de marbre (mais madame Rodriguez n'est qu'une concierge, et tu t'es naturellement dit qu'une femme un peu simple, même si elle est bien brave, est tout bonnement incapable de réaliser quel évènement historique sans précédent vient de se produire sous ses yeux devant douze mille caméras de télévision).
Dans la rue, tout en rajustant ta nouvelle cravate Barack Obama®, tu es passé devant Robert, le sans domicile qui se poste toujours à l'entrée du Monoprix de ton quartier pour faire la manche. Tu as failli, comme à ton habitude, l'enjamber distraitement. Mais tu as marqué un temps d'arrêt, car aujourd'hui n'était pas un jour comme tous les autres. Aussi, tu t'es penché vers Robert et tu as saisi sa grande main calleuse dans les tiennes, la secouant vigoureusement, et dans un élan de solidarité altruiste et de générosité sans fard, tu t'es écrié:
- Yes we can! Ami, je ne t'appellerai plus jamais "clodo", je t'appellerai désormais "frère"! Yes we can!
Et tu es reparti vers la bouche de métro, sans avoir refilé la moindre pièce à Robert, mais le coeur gonflé de joie, fort de ce sentiment qui, as-tu pensé, n'est en général partagé que par les vaillants médecins sans frontières qui vaccinent les petits Noirs en Afrique.
Dans le métro, justement, après avoir enjambé rapidement deux ou trois autres Robert dont on ne savait pas très bien s'ils étaient ivres morts ou bien morts tout court, tu t'es approché d'un groupe de fonctionnaires de police qui étaient en train de plaquer au sol un jeune homme basané. L'un des agents lui passait les menottes en lui hurlant de sortir sa carte d'identité, tandis que les trois autres testaient la résistance de sa cage thoracique avec la pointe de leurs rangers impeccablement cirées.
Mû par un humanisme sans bornes, tu as essayé de donner une accolade fraternelle au jeune basané et de lui épingler un pin's Barack Obama® sur l'épaule.
- Brother, brother, n'oublie pas: Yes we can!
Tu as serré la main de chaque policier en souriant béatement, puis tu as repris ta route vers le quai, tandis que tes nouveaux amis en uniformes abîmaient leurs matraques toutes neuves sur le crâne de ton brother menotté.
Ta journée de travail est passée comme un doux rêve.Tu te sentais flotter dans un monde de bulles multicolores, un arc-en-ciel géant reliait tous les individus que tu croisais, même Berthier et Robinson, les deux quinquagénaires qui font partie de la prochaine charrette de licenciements de ta boîte. D'ailleurs, tu as cru noter un pétillement de joie dans l'oeil de Berthier au moment où, pendant qu'il vidait son bureau et faisait ses cartons avant de se faire mettre dehors par l'agent de sécurité, tu lui as remis en mains propres un poster Barack Obama® en lui disant:
- Allez, Berthier, et bonne continuation, hein, brother? Yes we can!
Le majeur bien tendu qu'il a dressé devant tes yeux devait être, sans aucun doute, une version légèrement provinciale du fameux "V" de la victoire.
Le soir venu, tu as croisé des dizaines de milliers de Télétubbies souriants et remplis d'amour sur le chemin de ton domicile. Même madame Diarra, ta femme de ménage sans papiers, séropositive et mère de trois enfants, semblait rayonner de bonheur en te saluant quand tu as pénétré dans ton appartement, mais c'est normal, madame Diarra est noire, et depuis hier, le monde a changé pour tes amis Noirs, qui sont désormais libres, riches et bien portants (d'ailleurs, tu te demandes si tu ne vas pas finir par essayer de te faire un ou deux amis Noirs afin de les présenter à tes potes de squash, qui en seront verts de jalousie).
Bien évidemment, tu lui as généreusement offert un badge Barack Obama®, que tu as épinglé sur le revers de sa blouse.
- Madame Diarra! Vous êtes ma soeur, madame Diarra! My sister, yes we can! Vous n'oublierez pas de récurer les toilettes à fond, ma copine vient dîner ce soir, et puis essayez de m'enlever cette vilaine tache de graisse sur le parquet du salon, c'est du plus mauvais effet. Yes, we can! Et puis ne soyez pas étonnée, j'ai retiré vingt euros sur votre paye de la semaine, rapport à mon trophée de ski que vous avez légèrement ébréché dimanche en faisant les poussières.
Tu as terminé ta première journée de l'Ere Nouvelle en avalant des raviolis Barack Obama® devant la télévision, qui rediffusait pour la cinquième fois en moins de vingt-quatre heures la cérémonie d'investiture de Barack Obama®, commentée cette fois par Jean-Pierre Foucault, Sébastien Cauet, Nagui, Patrick Sébstien et Maitena Biraben. De gentils Noirs chantaient en choeur dans ta télé, tandis que des millions de gens pleuraient de bonheur, car le monde a désormais changé, même Jean-Marc Sylvestre le disait ce matin sur France-Inter, et ça t'a rappelé subitement qu'il allait falloir que tu augmentes de quelques euros tes dons mensuels à Médecins du Monde et à Aides (même si tout le monde sait que Barack Obama® va très prochainement faire de l'Afrique un continent prospère, et du SIDA une maladie du passé).
En allant te glisser sous ta couette Barack Obama®, tu t'es dit que, décidément, Martin Luther King était un grand homme et que l'Histoire était en marche. A nouveau, tu as senti ton petit coeur se gonfler d'une fierté bien légitime.
Tu as regardé le poster géant de Barack Obama® punaisé au mur, face à toi, juste à côté de l'affiche géante "Sarkozy 2008: Ensemble tout devient possible", et tu as envoyé un baiser aérien à tes deux idoles, avant de plonger délicieusement au pays des Bisounours et des arc-en-ciel psychédéliques, où Oui-Oui et les petits lutins coquins distribuent sûrement des pin's Barack Obama® à tous les gentils jouets.