Vichy : le retour

Publié le 03 décembre 2008 par Ferrailleur


Village de Tarnac (Corrèze), 11 novembre 2008, 6h00 du matin
Mathieu, 27 ans, est réveillé en sursaut par de violents coups contre sa porte. Il ouvre. Une floppée d'hommes encagoulés de la brigade antiterroriste font irruption dans sa chambre. Il est ceinturé, menotté violemment. Tout est fouillé, retourné en tout sens. Les policiers en sont sûrs: Mathieu n'est pas ce brillant étudiant parisien qui a choisi de vivre dans ce tranquille petit village avec des amis par refus de la société marchande et par idéal écologiste et altermondialiste. Il n'est pas ce jeune homme sympathique que le maire salue et que les habitants apprécient. Non ! Il est comme le lui disent les policiers lors d'un interrogatoire musclé, un type qui " a de la merde dans le cerveau parce qu'il a lu des livres." D'ailleurs, il ne reverra jamais son petit garçon. Il pourrira là en prison. Finalement, il est relâché mais cinq de ses camarades restent en prison, dont l'épicier du village. Ils sont accusés de terrorisme comme de sombres adeptes de Ben-Laden ou de l'ETA. D'ailleurs, tandis que la Ministre de l'Intérieur se jette sur les caméras pour se vanter bruyamment de la réussite de cette opération contre "L'ultra-gauche terroriste", même la presse se déchaîne: "L'ultra-gauche déraille" titre Libération.
Charge contre eux ? En théorie, considérables ! (sabotage des TGV, menées extrémistes). En pratique, pas grand-chose voire rien. Trois des cinq jeunes gens restés en prison viennent d'être remis en liberté, après 3 semaines d'hystérie.
Conséquence ? L'Etat réinvente le crime politique. Depuis 6 mois, le pouvoir fantasme sur l'idée de la réapparition d'une extrême-gauche violente style Brigades Rouge ou RAF. Alors, il s'agit d'incarner cette idée coûte que coûte, quitte à manipuler les faits, quitte à user d'une propagande grossière digne des plus sombres années de l'Occupation. Il s'agit d'étouffer dans l'oeuf toute tentative de contestation radicale de l'ordre nouveau. Faire peur. Criminaliser les grévistes, les manifestants et les réfractaires.


Marciac (Gers), 19 novembre 2008, 9h30 du matin
Zoé, 13 ans, élève de 4e au Collège de Marciac, paisible chef-lieu de canton (1169 habitants) du non moins paisible département du Gers (8e département le plus sûr de France d'après un classement cumulatif établi par L'Express), est tétanisée: trois gendarmes et un chien-loup viennent de faire irruption dans sa salle de classe. La professeure est elle-même stupéfaite et ne proteste pas. Le chien va et vient dans la classe, renifle, mordille les sacs... Il ne s'arrête pas près de celui de Zoé mais le gendarme le force à renifler le corps de Zoé. Puis tout s'enchaîne: on demande à Zoé de quitter la salle de classe, elle est fouillée au corps, à moitié déshabillée, palpée, en présence de gendarmes goguenards. On ne trouve rien mais on s'acharne. Finalement Zoé est reconduite en classe traumatisée. Tout cela dira la principal était la mise en oeuvre d'une opération de "prévention contre l'usage des stupéfiants" (sic !)
Charge contre elle ? Aucune avant, aucune après. Un pur acte d'arbitraire et de violence d'Etat.
Conséquence ? Tout est désormais possible en France, y compris dans un établissement scolaire, en présence d'éducateurs ou d'enseignants. 12 ans est l'âge à partir duquel on pourra bientôt vous mettre en prison. On ne croit plus en la perfectibilité d'un être humain, même jeune, même en devenir. D'ailleurs n'y a-t-il pas un gène de la pédophilie ? Ne faut-il pas ficher les enfants dès l'âge de 3 ans pour déceler les futurs criminels ? Trois siècles de progrès en matière d'éducation (Rousseau, , 1762), trois siècles d'humanisme, les Lumières elles-même sont sur le point d'être balayées !

Grenoble (Isère), 27 novembre 2008, 15h45
Trois petits bouts de chou, de 3, 5 et 10 ans, frères et soeurs scolarisés à l'école du Jardin de Ville. On vient les chercher dans leurs classes respectives. C'est leur papa qui les fait appeler. il est là dehors avec deux messieurs. C'est pour un rendez-vous urgent en préfecture dit-il à la direction de l'école inquiète. Le lendemain midi, toute la famille est dans un avion direction un pays que les enfants ne connaissent pas.
Charge contre eux ? Conformément à la loi, ces enfants en âge scolaire fréquentaient l'école obligatoire, gratuite et laïque. Leur père n'a pas de papiers certes. A-t-il volé, commis un crime, porté un trouble à l'ordre public ? Non. Mais il est traité comme un criminel et sa famille raflée.
Conséquence ? Bis repetita. Tout est vraiment possible désormais en France. On rafle les enfants dans les écoles en pleine année scolaire au vu et au su de tous leurs camarades apeurés, de leurs copains de classe, de leur voisin de table à qui il va falloir expliquer que la chaise à côté de lui restera définitivement vide.

Le Raincy (Seine-Saint-Denis), 28 novembre 2008, 6h40 du matin
Vittorio, journaliste chevronné à Libération, père de famille d'une cinquantaine d'années, est arrêté à son domicile à l'aube sans motif apparent. Il est humilié en présence de ses deux enfants laissés seuls et désemparés. Deux heures plus tard, il est nu face à ses gardiens puis mis dans un cachot sale et obscur puis, de nouveau et sans raison, déshabillé, inspecté avant d'être déféré sans avocat devant la juge.
Charge contre lui ? En 2006, un commentaire noyé dans la masse, en réaction à un article web d'un journaliste de Libération relatant la condamnation à 2 ans avec sursis d'un homme d'affaires, a déplu à ce dernier qui a attaqué le journal en diffamation, journal dont Vittorio est alors nominalement responsable à l'époque...
Conséquence ? Cet homme d'affaires déjà mêlé à une affaire d'hébergement sur ses serveurs d'images à caractère pédophile dès 1996 (comme le révèle cette archive INA), a donc réussi pleinement sa vengeance contre la presse et cela quel que soit le résultat final du procès... Désormais, quel journal en France ne s'autocensurera-t-il pas (y compris sur le web), voyant quelles peuvent être les conséquences insensées d'une simple procédure de diffamation ?


Epilogue: Ministère de la Fonction Publique, Paris, 29 novembre 2008

André Santini, ministre et humaniste notoire, n'en peut plus. Comme son maître Nicolas, la culture générale lui sort par les trous de nez. Il veut la bannir des concours administratifs de niveau B et C (les niveaux exécutoires de la hiérarchie).
" Un élitisme stérile !" fulmine-t-il. "Une fermeture aux minorités visibles et aux classes populaires !" s'indigne-t-il sous les applaudissements du CRAN, association noire dont le but ouvert est d'ethniciser les rapports sociaux en France.

C'est vrai, André, quelle pourrait bien être l'utilité de l'Histoire, de la Philosophie ou de la Littérature pour un policier défonçant la porte d'une épicerie corrézienne ? Pour une gendarmette fouillant dans le sous-tif d'une jeune fille apeurée ? Pour un Principal appelant une unité de gendarmerie à violer l'enceinte de son établissement ? Pour un policier en civil amenant en prison des enfants de 3 ans ? Pour un gardien de dépôt inspectant l'anus d'un honorable journaliste de la presse nationale ?

De toutes ces matières inutiles et néfastes, il faut faire table rase. Formons de bons petits exécutants qui, comme notre glorieuse administration des années 1940, signeront des circulaires, des ordres, des avis sans même comprendre de quelle ignoble entreprise ils se font les complices.


PS: la Ligue des Droits de l'Homme fondée en France à l'époque de l'Affaire Dreyfus (!) reprend la plupart des affaires évoquées ci-dessus dans un communiqué indigné. Mais combien d'autres sont passées sous silence ?