Cold case

Publié le 25 janvier 2009 par Edlin

Mais comment ais-je pu me faire enfermer aussi bêtement dans ce compartiment réfrigéré ? Je suis contrôleur sanitaire et je ne fais que mon travail. Je suis venu inspecter cette société qui traite le fret des denrées périssables. Il est maintenant 18h22, cela fait plus d’une heure que je suis enfermé, et je suis fatigué de taper sur les murs ou même de crier. J’ai vite arrêté ma crise de panique car j’ai pour projet que ma mort ne serve pas à rien. Je veux laisser, comme un testament, ce manuscrit de mes derniers instants.

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Je ne sais pas vraiment comment on meurt de froid, mais je suis sur que c’est ce qui m’attend d’ici quelques heures. J’ai récemment entendu des informations qui traitaient d’un bateau qui avait chaviré dans des eaux à moins de 10 degrés. Le capitaine en charge des opérations de recherches expliquait que chaque heure qui passait voyait s’éloigner les chances de les retrouver vivants, et de rajouter qu’on ne peut vivre que quelques heures le corps plongé dans cette température. Moi je suis confiné dans une pièce de huit mètres sur deux à une température de pouvant aller de -2 à 2°. Combien de temps me reste t’il ?

J’aurai bien aimé avoir des choses à dire à mes enfants, mais je n’en ai pas. Je n’ai pas non plus de femme, ni même de fiancée. Ma dernière petite amie remonte à loin, c’était l’époque étudiante au quartier latin. Depuis je ne plais plus et je ne cherche pas à le faire. Je ne peux pas non plus écrire pour mes parents. Ils ne sont plus capables de lire, même s’ils respirent encore. Ils ont trop abusé de substances toxiques pendant leur jeunesse soixante-huitarde et l’alzaïmer les a attrapé pratiquement tous les deux en même temps. Je suis fils unique et je vis seul dans la grande maison que mon grand père a léguée à mon père. Les seules personnes qui me regretteront seront surement mes patrons qui auront une période de galère ou ils devront trancher entre ne pas faire de contrôle ou de les faire eux même.

A qui donc pourrais-je avoir envie de dire quelque chose, puisque je ne compte pour personne

Je vais écrire sur moi en attendant. Je me suis assis dans un des coins du wagon. J’ai eu le sentiment en m’approchant de cet endroit qu’il y faisait légèrement plus chaud. Peut être une durite qui ne fonctionne plus à cet endroit. J’ai bien essayé de casser le contrefort en métal pour arriver jusqu’au système de refroidissement, pour lui aussi le détruire. Mais je n’ai pas d’outils capables de m’y aider, et mes pieds et mes poings déjà trop endoloris.

Tous ces mouvements auront au moins permis à la température de mon corps de ne pas descendre tout de suite, mais j’ai du m’arrêter car j’avais reconnu une crise de panique. Inutile pour moi de continuer à m’affoler ainsi sans perdre la tête sous peu. Je préfère encore écrire jusqu’à ma mort. Au moins je serai mort sur scène, comme Molière, moi l’écrivain inconnu j’aurai rédigé jusqu’à ce que l’hypothermie m’emporte. J’ai le nez qui coule depuis une dizaine de minutes. C’est assez pénible. Pour le moment j’ai la même impression de froid que le jour ou j’avais du attendre deux heures que les secours viennent récupérer mon collègue de travail avec qui j’étais parti faire du hors piste. C’était lors d’un séjour organisé par le comité d’entreprise. Cette sortie de piste,  je voulais la faire seul, le soleil avait déjà disparu derrière la montagne, et comme à mon habitude je voulais profiter de la dernière demi-heure de ski de la journée. Gérard, chef du service comptabilité m’avait suivi quand il m’avait vu quitter la piste. Un peu plus tard et avant qu’il ne perde connaissance, il m’a expliqué qu’il avait hésité à me suivre et qu’il m’avait vu lui faire signe de le suivre. C’est probablement pour cela que j’ai prévenu les secours et que j’ai attendu qu’ils arrivent ce jour là. En quittant la piste, je l’avais vu s’arrêter comme s’il allait me suivre. Et ce n’est pas un geste de d’appel que je lui avais fait, mais plutôt un geste du bras qui allait vers l’extérieur. Il aura surement pris le sens de la main à contretemps. C’est quand il m’a dépassé avec un cri de plainte que j’ai compris qu’il n’avait aucune chance de se sortir de la situation. Il a quand même réussi à slalomer entre les trois premiers sapins, mais le quatrième l’avait arrêté net. Un moment j’ai hésité à m’arrêter, mais il me regardait avec des yeux terrorisé, mais c’est aussi sa bouche grande ouverte de laquelle ne sortait aucun son, qui m’a donné le frisson. En m’approchant de lui j’ai eu un haut le cœur. Sa jambe était traversée de part en part, une branche de sapin pleine de chair apparaissant sur le haut de sa cuisse. La neige était rose de sang et de la fumée sortait de la crevasse qu’il était en train créer. Comme si l’enfer était en dessous et qu’il s’apprêtait à avaler le comptable. Il est rapidement devenu blanc comme neige et il s’est évanoui. Là j’ai hésité quelques minutes en fumant une cigarette et j’ai appelé les secours avec mon téléphone portable. Quand ils sont arrivés, cela faisait plus de deux heures que j’étais assis à l’abri d’un sapin. J’avais là aussi le nez qui coulait comme maintenant. Mais là, mon téléphone portable ne fonctionne pas, et les secours ne sont pas près d’arriver. J’ai entendu la sonnerie qui annonce aux ouvriers la fermeture à 17h30. Il n’y a plus personnes aux alentours. Le bureau des gardiens de nuits est loin, et même s’ils venaient faire une ronde par ici, je suis dans l’incapacité de les entendre et encore moins de signaler ma présence.

Gérard est mort à la suite de ses blessures à l’hôpital. Moi je dis qu’il était déjà mort quand il est parti avec sa branche de sapin dans la jambe sur le traineau des secouristes. Je n’ai plus jamais participé à un voyage CE depuis. J’aime skier mais pas le froid, et c’est pourquoi je n’y vais que si la saison est clémente. Et là, je dois dire que le froid est en train de glacer mes os. D’ailleurs mon écriture commence à être de plus en plus difficile. Par contre mon nez semble s’arrêter de couler. Je ne sais pas si c’est très bon signe, mais cela me soulage. 

Je regarde ma montre, il est 19h45, cela fait maintenant 3 heures que je suis enfermé. Il me reste encore deux cigarettes. J’ai eu un mal fou à faire marcher le briquet car je ne sens plus le bout de mes doigts. Ca ne me gène pas tant que ça pour écrire encore. Ma façon de tenir mon stylo m’aura valu une pluie de quolibets tout au long de mon parcours d’étudiant et au début de ma carrière professionnelle. Mais aujourd’hui elle me permet de continuer à écrire alors que je suis anesthésié jusqu’aux deuxièmes phalanges de chaque doigts de mes mains. Pour ma main gauche l’anesthésie est plus étendue. Alors depuis dix minutes j’essaye de la faire bouger pour faire circuler le sang. Je m’astreins à me lever toutes les dix minutes pour faire quelques mouvements, mais c’est de plus en plus pénible…

Il est 21h je vais écrire debout. J’ai trouvé une grande caisse en bois au fond de la pièce et je m’en sers comme écritoire. J’ai du jeter le stylo à bille, l’encre avait gelé à l’intérieur du tube en plastique. J’écris maintenant avec un crayon à papier. Je ne sens plus mes jambes sous mes genoux. Je suis même étonné de ce sentiment d’être au dessus du sol comme en apesanteur. J’ai ma à la tête depuis un moment. J’ai déchiré les pans de ma chemise au prix de grands efforts et je me suis fabriqué une sorte de bandage mitaine pour essayer de garder au maximum l’usage de ma main droite.

Il est 23h et j’ai du mal à respirer et à concentrer mon esprit. Je n’ai plus trop envie d’écrire, mais je vais aller jusqu’au bout. Peut être que je pourrais délivrer à la science une information importante sur le ressenti d’un mort de froid. Je suis allongé sur le dos. Tout à l’heure je suis tombé. Mes jambes ne me portaient plus.

23h30 J’ai eu des hallucinations tout à l’heure. Je voyais les murs de la pièce se rapprocher de moi. Mes oreilles me font mal. Je ne sens plus que mes oreilles et ma tête. Je n’arrive pas à comprendre comment j’arrive encore à écrire. Même si je peine, j’arrive à tracer des mots lisibles. Cela me donne de la force de continuer. Mais je crois que mon système respiratoire s’arrêtera de fonctionner avant mes mains. Sans oxygène mon cerveau ne pourra plus contrôler mes membres.

Il est 2h30 du matin. Je me suis endormi. Je sens que la fin est très proche et je veux écrire ces quelques mots avant de mourir.

Je suis mort pour défendre la santé de mes contemporains et ce n’est pas de ma faute si Gérard est mort.


Le lendemain matin, le cadavre de l’inspecteur sanitaire a été retrouvé, le corps raide. Une enquête judiciaire a été ouverte immédiatement. Le médecin légiste a confirmé une mort par hypothermie lié à une trop longue exposition au froid. Ce qu’il n’a pas pu expliquer c’est comment cet homme était mort de froid dans une pièce ou la température était de 19°. Le contremaitre a rapidement pu prouver que le système de réfrigération était défectueux depuis plusieurs semaines. 

Le témoignage de ce malheureux est aujourd’hui très important pour la science, car il aura permis de comprendre que notre psychisme peut créer à l’intérieur de notre corps des dégâts irrémédiables, sans causes réelles ni agressions extérieures.