La piqûre

Publié le 26 janvier 2009 par Zoridae
Dans la salle d'attente il n'y avait plus que quatre chats accompagnés de leur maitresse quand elle est entrée, serrant contre elle un sac souple.
Elle s'est présentée à l'accueil annonçant d'une voix curieusement forte que Ruby, son chat, avait rendez-vous à 9h45, pour une piqûre puis elle s'est assise, le sac sur les genoux. A l'intérieur, l'animal a miaulé une fois mais elle ne l'a pas regardé, ne lui a pas parlé. Je l'ai fixée quelques instants, frappée par son expression fermée, son regard aux abois en me demandant si son chat avait des problèmes de reins ou si on lui faisait des piqûres de vitamines, un vaccin ; enfin, gênée mais incapable de savoir pourquoi, j'ai détourné les yeux.
Raskasse, sur mes genoux, faisait impression avec son énorme bandage en forme de maillot et son cathéter accroché à une patte :
"Le pauvre, s'est excalmée la propriétaire d'un Chartreux imposant, qu'est-ce qu'il a ?
- On lui a enlevé une tumeur abdominale, samedi, ai-je articulé, avant de déglutir péniblement.
- Il a quel âge ? a demandé une dame âgée en face de moi.
- Il aura 14 ans en avril...
Le silence a pesé quelques instants dans la pièce. Il me semblait contenir plus de menaces pour l'avenir de mon chat que les pronostics pessimistes effectués par l'infirmière après l'opération. Les mains s'affairaient dans les fourrures ternes, les bouches murmuraient aux bêtes des paroles rassurantes.
La dame âgée a repris la parole :
- Le mien aussi a 14 ans, a-t-elle avoué, sans sourire.
- Oh ! Il a l'air en forme, qu'est-ce qui lui arrive ?
- Hier il n'arrivait plus à marcher. Il titubait et ne soulevait plus son bassin..."
Un ronflement étrange a alors interrompu notre discussion. Nous avons tourné la tête avec appréhension. Une main glissée à l'intérieur du sac de Ruby, l'autre appliquant son écharpe bleue sur sa bouche, sa maitresse sanglotait. Ses lunettes s'étaient embuées, son visage paraissait dévasté et quand elle reprenait son souffle son nez produisait ce bruit grotesque. Tremblante, j'ai serré doucement Raskasse contre moi...

Illustration : Marion Peck