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Les autres

Publié le 28 janvier 2009 par Frédéric Romano

Lui : T’es qu’un malade ! Qu’est-ce qui t’a pris ???
Moi : Je m’en fous…
Lui : Mais moi je devais rester dans ce train quand t’es parti !
Moi : Je m’en fous…

C’est étrange comme je me sens maintenant bien dans les trains. Ça n’a pas toujours été le cas. Il y a presque dix ans, le spectacle des transports en commun m’était insupportable. Ce n’était pas l’ambiance ou le manque de confort, c’était les gens, les autres…

J’avais vingt ans, je me rappelle. J’étais assis sur la banquette verte d’un train rouge. Il y avait ce bruit sourd et cette odeur de fer caractéristique des vieux wagons. J’avais la tête appuyée sur la vitre, les épaules contrastées et les bras croisés. Je scrutais d’un œil mon entourage, je le jugeais. Il y avait cette vieille dame qui tenait fermement son sac à main. Elle avait des cheveux gris et un cache poussière comme celui de ma Grand-Mère. Il y avait cette femme qui venait de frotter à l’aide d’un mouchoir la banquette sur laquelle elle allait s’asseoir. Je trouvais ça ridicule. Ce simple geste la rendait détestable. Je pense que je lui aurait bouffé le nez si elle m’avait demandé l’heure mais elle ne l’a pas fait.

Il y avait les gens debout, les gens assis dans les couloirs, ceux qui se tenaient, fermement, la main collée au plafonds. Il y avait en hiver la buée sur les fenêtres et en été les odeurs propres aux chemins de fer. Il y avait aussi pendant les vacances les départs de groupes, les scouts, le retour des étudiants après la session. Il y avait des chants et des rires et il y avait moi, gris clair et colérique. Je me rappelle de la jalousie et de la haine pour ceux de mon âge, pour ces garçons et pour ces filles, pour leurs jeux complices, leur camaraderie et leurs évidents secrets. Ils s’exhibaient devant moi, chaleureux, taquins, amoureux parfois. Je les scrutais, l’œil gauche fermé. Chez elle, je voyais ses cheveux et son regard farouche. Chez lui j’observais son cou, son menton, sa barbe naissante et ce que je pouvais voir dans sa chemise entre-ouverte. C’était une sensation insupportable. Je ne les détestais pas pour ce qu’ils représentaient, je les haïssais pour ce que je n’étais pas. Parfois des larmes montaient. Je fermais alors les yeux et je posais à nouveau ma tête sur la vitre. Je sentais un choc à chaque aiguillage. Je m’en foutais. Je ne voulais plus voir, plus entendre, plus sentir… juste m’arrêter là…


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