"Je marche par le bouche-à-oreille ; mais souvent la bouche est cousue et l’oreille bouchée… La plupart des libraires m’enfouissent comme si j’étais un déchet nucléaire !"
C'est le constat que faisait Marc-Edouard Nabe en 2006, vingt ans environ après avoir publié son premier ouvrage à l'age de de vingt-six ans, et qui fut suivi de vingt-six autres livres, soit près de vingt mille pages.
Cela signifie qu'il faut déployer des efforts importants et avoir une motivation très particulière pour découvrir et lire cet écrivain singulier devenu confidentiel malgré l'étendue et la qualité de sa production littéraire. Pour Marc-Edouard Nabe, le bouche à oreille n'a pas fonctionné dans le sens attendu, il semblerait.Marc Edouard-Nabe ? Un destin littéraire inverse de celui de Michel Houellebecq, A cinquante ans, il n’est certes plus aujourd'hui le jeune écrivain prometteur mais dérangeant qui faisait scandale dans les médias à la fin des années 80. Il a annoncé dans Le Vingt-Septième Livre, qu’il ne publierai plus, et expliqué pourquoi. C’est une forme d’autodestruction littéraire.
Savourez cet extrait où il raconte son voisinage d'immeuble amical, rue de la Convention Paris XVème, entre 1991 et 99 avec... Michel Houellebecq !
Mais Nabe n’a pas dit qu’il renonçait à l’écriture, pas plus qu'à la peinture, ou au jazz. Il a renoncé à faire éditer ses nouveaux opus ! Nabe renonce au business culturel, pas à l'art.
Nabe écrit régulièrement depuis quelque temps, des pamphlets (tracts) sur l’actualité, la société, la littérature, le jazz, etc. qui sont distribués ou collés mystérieusement et à la va-comme-j’te-pousse sur les murs et les arbres, partout où il a des supporters, à Paris, en province et à l’étranger. On les trouve sur le site de l'écrivain.
Sur les tracts de Nabe
Léo Scheer, l'éditeur, relaie les NABETRACTS sur son blogue. Ils suscitent immanquablement des étripages homériques à coups de plusieurs centaines de commentaires plus ou moins hors sujet entre détracteurs et partisans de MEN.
Voici un extrait de l'échange (très courtois celui-ci) entre un commentateur et Léo Scheer.
-- "Diriez-vous que ce tract ["Enfin Nègre !", huitième tract, 20 janvier 2009] est un bon exemple du talent de Nabe ?"
-- "Je [LS] pense que la "forme" tract est un bon exemple de ce talent. Un Tract est fait pour être lu en vitesse debout dans la rue, avant qu'il soit arraché, dans le bruit, le froid, les agressions des passants. Il rejoint donc l'état d'urgence dans lequel se trouve l'auteur actuellement. Cela suppose une rythmique de l'écriture et de la pensée d'une grande virtuosité et le talent d'établir en un court instant une complicité avec les lecteurs sur une vision des choses qui par nature les retourne dans leurs idée toutes faites. L'exercice demande un grand talent et je ne connais pas beaucoup d'auteurs en France actuellement qui seraient capables de l'exercer. Si on doit faire une hiérarchie, je place les Tracts très haut, compte tenu des problèmes de "technique" d'écriture et de pensée qu'ils implique. Mais pour mon goût personnel, les journaux intimes restent pour moi des sommets (je pense aussi à ces dix années du journal que MEN a détruites)."
Morceaux choisis (éditions Léo Scheer)
C'est ce que je suis en train de lire actuellement de Nabe, après avoir fini Le Bonheur.
Voici ce que dit Léo Scheer du making-off de cette publication originale majeure (toujours sur son blogue) :
"Cet ouvrage est le fruit d'un important travail [des éditions Léo Scheer] réalisé avec Marc-Édouard Nabe et Angie David [en 2006]. Nous sommes partis des 20.000 pages des oeuvres publiées jusque là, MEN en a sélectionné environ 2.000 qui permettaient de couvrir l'ensemble des domaines abordés et les différents registres d'écriture, puis, nous avons défini un abécédaire avec des mots clefs et Angie David a réalisé cette sélection finale de 500 pages qui permet de survoler une oeuvre devenue introuvable en librairie puisqu'elle n'est plus commercialisée par ses éditeurs et qu'elle est refusée dans les collections de poche à cause du blocage des libraires
La publication de cet ouvrage, qui est un acte d'éditeur assez rare -- je ne crois pas qu'on ait publié beaucoup de morceaux choisis d'auteurs vivants au cours de ces derniers siècles -- a été accueillie par des injures (S.Bourmeau dans les Inrocks, Miller chez Ruquier etc...). Trois ans après sa sortie, je ne serais pas mécontent de commencer à voir apparaître des notes de lecture et des critiques réelles sur ce travail."
Rééditions récentes au Dilettante - vers une fin de la traversée du désert nabien ?
Trois ouvrages de Nabe, qui étaient devenus introuvables (sauf sur ebay et consorts, mais a quels prix !) sont réédités ce mois-ci, janvier 2009, par Le Dilettante :
1 - Le Vingt-Septième Livre, préface à la réédition d'Au Régal des Vermines (extrait)
2 - La Marseillaise, hommage au musicien de jazz Albert Ayler
3 - Nuage, hommage à Django Reinhardt (extrait musical)
Sinon, on peut toujours se procurer assez facilement son recueil d'aphorismes Chacun mes goûts, L'Ame de Billie Holiday, biographie dont j'ai parlé ici, Le Bonheur, roman, et quelques uns des essais. Les connaisseurs regrettent particulièrement qu'aucune réédition n'ait été faite des ouvrages majeurs de Nabe aujourd'hui indisponibles, que sont Alain Zannini (roman, 2002), et les quatre volumes du Journal Intime.
Dans une discussion récente sur son blogue, Léo Scheer laisse toutefois pointer une note d'optimisme :
"[...] je [LS] pense que cette situation juridique [le contentieux Nabe - Le Rocher] va peut-être bientôt s'éclaircir et que pourront être posés autrement les enjeux de sa diffusion en poche qui pour le moment est inexistante et représente à mes yeux un enjeu principal pour son avenir [celui de Nabe]."
En plus de vous (re)dire que j'aime cet écrivain, mon conseil : lisez Nabe !
Pourquoi pas en commençant par les Morceaux choisis ?