Je regarde le fleuve. Les cent cinquante kilomètres qui séparent Tcherkassy de Kiev s’avalent vite. On devine déjà les immeubles lourds de la capitale. Les bâtisses grises et imposantes de l’ère soviétique. Je regrette déjà les boulevards sympathiques de notre petite ville, bordés de châtaigniers. Ha, vivement Paris !
Nous sommes en avance. Oksana laisse le véhicule sur un parking presque vide et nous flânons, bras dessus, bras dessous, dans ces rues sans âmes. Sergueï m’a donné rendez-vous au bar select de la Lune Bleue.
Il ne s’embête pas, dis donc, ton Sergueï, me lance Oksana. Tu connais le prix d’une coupe, au Lune Bleue ?
Je hausse les épaules.
C’est ton futur mari qui va payer ! Autant dire que c’est toi ! C’est dingue, ça, quand même. Tu n’es pas encore mariée, et tu dilapides déjà ta fortune.
Oksana éclate de rire. Son jugement m’amuse, mais je prends soin de lui répondre, cependant.
Tu sais bien que je ne souhaite pas me marier pour l’argent. Mais pour avoir des enfants, que je puisse élever dans des conditions sereines. J’ai trop vu toute cette misère, enfant. La tristesse de Père. Les pleurs de Mère.
Oksana m’attire à elle, m’embrasse, et je me laisse aller à son effusion tendre. Son souffle se mêle au mien, et nous restons un instant, l’une contre l’autre, comme deux amoureuses se réchauffant dans l’air glacial de l’hiver. Puis nous courrons jusqu’au fast-food, comme deux petites folles, en sautant à pieds joints et criant quelques obscénités à des passants tout gris, emmitouflés dans leurs manteaux épais, qui nous toisent de leur regard hautain, presque méchant.
Une musique geignarde inonde la salle de restaurant.
A Paris, expliqué-je à Oksana, les fast-foods sont très différents. On peut y lire, comme dans une bibliothèque, les gens sont bien habillés, et on y écoute des musiques douces.
Une moue grotesque défigure son visage. Elle ne me croit pas vraiment. Entre deux goulées de soda trop sucré, elle conclut, non sans une certaine philosophie :
Tu verras bien !