Magazine Journal intime

La Divine Comédie.

Publié le 31 janvier 2009 par Mélina Loupia
Mais comment c'est possible un truc pareil de se faire entortiller avec toute l'expérience dont je peux prétendre?

Vas savoir Oscar.

N'empêche Judith, ça vient encore de m'arriver.

Il est onze heures et cent vingt-huit minutes et bien-sûr, tout le monde hurle que c'est pas possible le samedi dans cette baraque personne surtout maman fout rien et a fortiori à bouffer mais on va tout brûler le mobilier du salon, rébellion quoi!

Tout le monde sauf le benjamin.
Lui, pour une fois, c'est pas le premier à la ramener pour quémander la bectance.

Et pour cause, encore une fois, pour la énième afin de respecter la précision des détails, il est pas encore rentré.

Cet enfant se pense en pension complète chez les voisins.
Qui ont donc une maison (comme nous), des enfants (comme nous), des jouets (comme nous), un jardin (comme nous) et des parents ( ok c'est bon, on aura compris.)

Tous les soirs, c'est la même limonade, avant d'attaquer les pieds de la table avec les dents, on tire au sort quid de l'aîné ou du cadet va partir en rabatteur de merlus pour remonter la brebis pas tant égarée que ça dans le droit chemin vers NOTRE maison.

C'est tout pareil qu'en bas, sauf que c'est plus haut.

Et hier soir, on était quatre ventres affamés à l'attendre, dans la pénombre du salon où seules les diodes de la Wii veillaient.

Il a tellement compris qu'il avait quelque peu débordé sur le prime time qu'il osait pas rentrer.

"Je m'excuse maman", qu'il geignait depuis le perron.
"Veux rien savoir, tu files dans ta chambre!", que j'ai sifflé du canapé.

Et d'y aller de toute notre pédagogie tout de même, que ce ne sont pas des façons de faire chez les gens, que tu as une montre de chez Décathlon, tout à fait programmable pour sonner à une autre heure que celle du matin, qu'à ton âge il y a des choses qu'un garçon doit savoir et tu te tais, tu manges froid et si t'es pas content, tu vas chez le voisin. NON TU VAS DANS TA CHAMBRE.

Qu'à la fin de la soirée, l'âme perdue s'était enveloppée dans un pyjama en velours, après s'être lavé chaque dent et avoir esquissé les sourires de circonstance à qui de droit dans la famille;
Que tout le monde a soupiré, s'était tapé dans les mains en se félicitant de tant de diplomatie.

Que le même tout le monde avait une nouvelle fois soupiré de désespoir tout à l'heure, à onze heures cent vingt-huit minutes donc.

C'est à la suivante que le cadet a décidé, en allant chercher la publicité dans la boite aux lettres (Brico-Dépôt fait des promos sur les parquets flottants), de remonter son frangin de cordée de chez la voisine.

Belote, rebelote, dix de der, cette fois-ci, ça n'allait pas se passer comme la précédente, alors là t'as qu'à voir Marie-José Asnar.

"Tu files direct dans ta chambre, après t'être déchaussé, avoir rangé ton blouson et t'être excusé auprès de tes frères, et de moi, car vue l'heure qu'il est, à cause de toi, on a pas mangé et maintenant, on est tellement contrariés qu'on a plus faim.
-Enfin moi si un peu.
-Toi tais-toi.
-Bravo, elle est énervée maintenant, super le samedi, super, y a des fois, je resterais bien à l'internat.
-Ne me tente pas."

Aussitôt, l'angelot de la veille a largué ses ailes, chaussé ses pieds de plomb pour traverser le couloir, s'est doté de mains de fer pour claquer la porte de sa chambre à en faire trembler les moustaches de ma chatte, et a été frappé du mue soudaine transformant sa petite voix d'enfant en vagissements de Lara Fabian.

Mais qu'est-ce qui me l'avait changé comme ça?

Moi, oui je sais, ça va.

Mais j'ai bien fait non?
L'heure, c'est l'heure.

Surtout quand ça fait plus d'une que l'espèce de porcinet enfermé dans sa chambre hurle son innocence et à l'injustice de ce monde cruel.

Surtout quand ses frères aînés, retranchés dans leurs quartiers, avec les oreillers sur la tête, se bouffent les ongles des pieds pour tenter de calmer l'angoisse provoquée par les ultrasons de la bête furieuse d'à côté.

Surtout quand j'en peux plus, que je suis obligée de me lever de ma chaise et d'interrompre une conversation d'adulte où il est question de ne pas foutre du Nutella partout sur le clavier.

J'ouvre la porte sans ménagement et je trouve recroquevillé contre le mur tout au fond de la pièce obscure, les genoux ramassés vers le menton et la tête renversée, se balançant d'avant en arrière, une créature ravagée par la colère et le désarroi, sanglotant, hoquetant et visiblement souffrant.

Et bien-sûr, la culpabilité s'est incrustée.
Et bien-sûr, alors que j'allais en ajouter une petite louche à coup de "Plus tu pleures, plus je crie, plus ça énerve tes frères, plus ça m'énerve et moins on t'entendra.", j'ai opté pour l'autre solution. La mauvaise.

"Si tu continues de hurler ou de pleurer, ou les deux ensemble, on entendra pas quand ton pote viendra te chercher pour venir jouer à la maison."

Ces quelques mots ont agi comme si j'étais allée au disjoncteur couper le jus direct ou appuyer sur le bouton "mute" de la télécommande.

Jamais vu un enfant se calmer aussi vite et aussi sec.

Sec, comme chacun de ses yeux en fait.

Car il  n'avait pas versé une larme.

C'est ce que j'ai constaté quand j'ai allumé la lumière.

Pas plus qu'en fait, il n'avait visiblement souffert d'avoir hurlé.

Il a fait oui de la tête et m'a suivie dans le couloir tranquillement.

Arrivé en terre inconnue, dans la cuisine, il a tortillé ses doigts.

"Même si je suis en retard et vu qu'à cause de moi, vous avez plus faim, je peux manger moi?"

Sur ces mots, le reste de la meute est arrivée au galop et s'est foutue dans mes pattes.

D'ailleurs, c'est ce que je leur ai fait.

Des pâtes.

La Divine Comédie.

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