Un voile de sueur, léger, irise ma peau, et mes cheveux ébouriffés me donnent un air d’âne. Avec circonspection, je pose mes pieds sur le bac de plastique froid de la douche. Je frémis. Mais par bonheur, c’est une eau bien chaude qui coule sur ma nuque, mes épaules, mon dos, mon ventre. Je m’ébroue. J’en goûte chaque filet, chaque torrent, qui se déverse sur mon corps. Oksana me rejoint, et serrées l’une contre l’autre sous la cascade tiède, mille émotions de l’enfance remontent à la surface, quand nous barbotions l’été dans le rivage du Dniepr. Nous observions nos pères qui lançaient la barque sur le dos du fleuve, l’un d’eux s’emparait des rames, et d’un geste sûr, serein et puissant, emmenait le bateau dans les niches poissonneuses, pendant que l’autre, debout dans le vent, préparait les lignes et les hameçons. Nous les voyions disparaître, petite tâche noire à l’assaut des voiles blanches qui s’éparpillaient sur la ligne du ciel. Des heures durant, nous guettions le retour, la main en visière, et nous ramenions, fières, les plus gros poissons, lourds sur nos bras encore frêles. Nos maisons résonnaient de la fête. Les tranches de silure frétillaient dans l’huile chaude, et nous dansions main dans la main, autour des tables, infatigables, pendant que nos pères, sans doute las de la pêche, fumaient sans mot dire devant la fenêtre, jouant avec la volute de leur cigarette. Ils souriaient, malgré tout.
Penses-tu souvent à ton père ? lui demandé-je en sortant de la cabine.
Emmitouflées de la tête au pied dans nos serviettes, seuls nos regards nous distinguent l’une de l’autre. Le silence devient dur, épais, autour de nous, quand les dernières gouttes ont fini d’éclater sur le fond de la douche. Oksana ne répond rien. Mais je devine au fond de ses pupilles les mêmes images que celles qui me hantent. La misère, une fois nos pères partis.
Un peu engourdie, l’esprit cotonneux, j’enfile ma robe rouge. De nouveau, le froid me pénètre, insidieusement. Alors tant pis, je garderai sur mes épaules mon vieux gilet noir.