Mon coeur saigne, lecteur.
On y a planté les graines du doute et de la suspicion, on les a arrosées, elles ont germé aussi rapidement que du chiendent, et me voilà avec un buisson de ronces couvert d'épines en travers de
mes valves et de mes oreillettes.
Oui, mon coeur saigne.
Et ça fait mal.
Moi qui, comme des dizaines de millions de crétins Français, avais depuis toujours placé Bernard Kouchner en tête de des personnalités les plus
sympathiques, juste entre l'Abbé Pierre et Daniel Balavoine (et un peu après Djamel Debbouze, qui prend la tête de ce classement grâce à son double statut d'enfant d'immigré ayant réussi dans la
vie et d'handicapé physique et mental), moi qui croyais dur comme fer au mythe du french doctor ressemblant vaguement à Robert Redford (de très loin et de trois-quarts), né pour
apporter des sacs de riz Max Havelaar à tous les pauvres d'Afrique!
Moi qui, aussi débile naïve que la moyenne de mes cons-citoyens, étais persuadée que Bernard Kouchner ferait un gendre idéal pour n'importe
quelle mère soucieuse de l'avenir de sa fille (surtout que depuis quelques années, Bernard met du beurre dans ses épinards en oeuvrant joyeusement mais discrètement pour certains des dictateurs
les plus riches de la planète)!
Moi qui avais encore, gravée dans ce coeur qui, comme je l'ai dit, saigne désormais abondamment, l'image aussi émouvante que rassurante du vieux
beau type au visage buriné et tanné par le soleil du Biafra, les cheveux au vent (à l'époque où il avait encore un tapissage capillaire naturel) et le regard tendrement plongé dans les
yeux d'un enfant au ventre gonflé par la famine!
Mon coeur saigne, ami lecteur.
Tout a commencé discrètement, à bas bruit, quelque part par ici, et puis aussi
par là, et puis la contagion ne s'est pas fait attendre, et on en a parlé chez lui, mais aussi chez eux, et même au Temple.
La rumeur s'est répandue comme une traînée de poudre, de rédaction en rédaction, de machine à café en cabinet de toilette crasseux, de cage d'escalier en arrière-cour encombrée, et même la plus
attardée simple des ménagères de moins de cinquante ans, entre deux épisodes de Plus belle la vie et deux chansons de Michel Sardou, a
bien été forcée de se rendre à l'évidence:
Bernard Kouchner n'est pas ce héros au sourire si doux, cet homme désintéressé, généreux et toujours motivé par la quête de la vérité et la défense des Droits de l'Homme.
Non.
Bernard Kouchner serait plus proche de la péripatéticienne âpre au gain et sans scrupules, prêt à se vendre au pire des bourreaux pour une poignée de millions, aussi vérolé qu'une fille de joie
syphilitique sur un champ de bataille prussien.
Dès lors, tout devient possible, et les questions les plus abjectes viennent immanquablement à l'esprit du
quidam anonyme: Bernard a-t-il reçu, pour chaque sac de riz distribué aux gueux
Mon coeur saigne, lecteur.
Et il y a fort à parier qu'en matière d'écoulement sanglant et douloureux, aujourd'hui, les hémorroïdes du Français moyen ne sont pas en reste.