Magazine Humeur
De l'eau de Javel et du sel
Publié le 04 février 2009 par Didier T.Max est rentré tard. Le train, d'abord un TGV, puis un espèce de micheline (électrique), qui aurait pu, vu sa vitesse et le nombre d'arrêts dans des gares presque désaffectées, être ornée d'une cheminée, crachant cette fumée blanche suffocante quand on passe dans un tunnel, enfin, à condition que les vitres puissent s'ouvrir, ce qui n'est plus le cas depuis... depuis quand déjà ?
Le sifflet strident n'existe plus lui non plus. On interdit même, parait-il, aux machinos de klaxonner quand ils se croisent, pour ne pas effrayer les voyageurs. Mais il faudrait aussi que le niveau sonore des annonces, qu'elles soient celles de la voiture bar (4 ou 14)-(dans le TGV) ou celles du conducteur qui annonce les gares fantomatiques, soient un peu mieux réglées, histoire de ne pas générer les acouphènes douloureux dont souffre Max depuis... depuis qu'il a compris qu'il ne grandissait plus, mais qu'il vieillissait.
La gare est froide, comme le reste. Comme la vie en général, froide du vide que Max a patiemment construit, laissant de côté ce qui aurait pu être une solution, mais qui n'était pas la sienne, celle qu'il voulait choisir. Jusqu'au jour où il a compris qu'il n'y en aurait jamais (de solution à choisir de sa propre volonté) , et qu'il aurait mieux fait de prendre un pis-aller, avant qu'il fût trop tard. Et ce trop tard est arrivé, aujourd'hui, comme ces mauvaises nouvelles, les irréversibles, celles qui font dire "putain, si j'avais pu, ou su". Mais le trop tard est là, il s'est installé bien tranquillement dans le canapé du salon, celui de gauche ou de droite, suivant la couleur choisie, verte à gauche, rouge et noire à droite.
Elle attend. Calme. Elle n'a rien dit quand il est entré. Il n'a rien dit non plus. Il a posé son sac, elle a posé son verre ; vide, prêt à être rempli d'une ambre jaune bien pratique.
Il s'est servi rapidement, comme pour effacer d'un coup de gorge une journée trop longue d'ennui. Une gorgée, deux, trois, vingt, mais rien n'y fait, l'amertume est prégnante, ineffaçable, ce mauvais goût sur la langue qui fait vomir quand la brosse à dent veut nettoyer les humeurs blanchâtres d'un foie vacillant.
Sans compter l'odeur, odeur morbide d'une haleine de bientôt mort. Sortie de sa bouche. Impossible à nettoyer, même à coup de chlore.
Il attend. Il déteste mais il attend. Elle s'est levée, et le canapé a eu l'air d'être soulagé. Un canapé ne parle pas. Un canapé s'écrase.
Max est un canapé. Et il s'écrase, tantôt par un joint, tantôt par une bouteille à moins de dix euros, le seuil psychologique que ne veut pas dépasser l'ivrogne, qui croit encore maîtriser son obsession. L'obsession est là, plus chère, plus coûteuse que tous les voyages que Max aurait pu s'offrir. Il n'a pas bougé, il est le bateau ivre de sa bouteille. Comprimé, se demandant comment il a pu entrer par cet orifice si étroit.
Il bascule. Il pense à son orifice à elle, à ses orifices, ceux qu'il a violés, se demandant après, après le dégoût, comment et pourquoi il était entré là. Le problème des odeurs, c'est qu'elles refroidissent, et qu'elles ne sont vraies qu'une fois froides, et elles sont dégoûtantes.
Ou pas.
Ça dépend.
Il lui a demandé de s'assoir près de lui, sur le canapé vert.
Il lui a dit quelques mots.
Il l'a embrassée, parce qu'il en a le droit.
Il a entouré son cou de ses mains, l'invitant à se lever, l'invitant à rejoindre un endroit chaud et cotonneux, histoire de "faire" quelque chose (lamuuur).
A gauche, les toilettes.
Il l'a poussée violemment. Il a saisi ses cheveux anciennement bruns, noirs de geai, devenus blonds, redevenus naturels. Il l'a poussée. Sa tête a heurté le bord émaillé. Du sang a giclé, on ne sait d'où, et a maculé le rouleau de papier senteur violette posé sur le tuyau d'évacuation, à grand diamètre.
Elle s'est ramollie d'un coup. Comme une anesthésie radicale, une hypnose immédiate.
Il a tiré la chasse. L'eau a foncé ses cheveux, couleur intermédiaire, châtain.
La bouteille, en plastique, blanche, remplie d'une liquide jaune plus clair que le whisky englouti, la grande, un litre et demi.
Le tête est trempée, l'odeur le renvoie à la dernière longueur de piscine qu'il a parcourue, avant, quand il avait encore l'impression de respirer.
Boite de sel ouverte. Renversée d'un seul coup.
Et cette fumée ! Comme une mousse désagrégeante, transformant ce visage d'ange en lambeaux de chair rose.
L'odeur, celle du sang n'ayant pas eu le temps de jaillir.
Odeur froide, comme d'habitude.
Max croyait se réchauffer.
Le froid est encore plus présent.
Un froid de menottes.
Henri ne devrait pas tarder.*
*Pour ceux qui auront lu "Cinéraphile", les clés seront plus faciles à trouver...
Bonne soirée
Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu