Conduite En État De Vieillesse : Danger.

Publié le 05 février 2009 par Mélina Loupia
Je suis encore à me demander ce qui a bien pu passer par la tronche de figue de la moitié d'octogénaire que j'avais devant moi ce matin vers onze heures pour qu'elle lui hurle dans le sonotone d'aller chercher du pain, en toute bonne maîtresse de maison qu'elle doit encore être.
Tiens, je suis sûre qu'elle s'appelle Simone.
N'empêche, je comprends toujours pas pourquoi c'est moi qui l'avais devant moi ce matin vers onze heures.
Comme quoi tous les retraités ne vont pas au ski en semaine.
Et qu'on me dise pas que c'est trop dangereux la neige pour les cols du fémur, parce que vue la vigueur du vieux poireau tout rabougri que j'avais ce matin devant moi, à d'autres.

Je traverse citoyennement la ville, à quarante-neuf à l'heure et ralentis juste avant un pont qui se négocie en seconde facile.
Jusque là, tout est normal dans la cabine du pilote que je suis, j'ai juste un peu faim et les dents du fond qui baignent, logique, j'en suis déjà au quatrième café de la journée sans avoir rien mangé d'autre que distraitement un golgoth, au feu rouge.

Quand tout à coup, le genre de truc qu'on voit JAMAIS venir, devant moi, une tortue blanche, de la marque aux chevrons, d'un blanc cassé à la boue, avec le pare-chocs arrière en option ou oublié contre un trottoir, les deux ailes avant enfoncées pour plus d'aérodynamisme et devant ce qui aurait pu être un appuie-tête, un crâne bien dégarni avec la grosse mèche de trente centimètres volant au vent.

Un ancêtre dans sa caisse pourrie qui va chercher son pain que maman lui a ordonné.
Sauf que moi, je l'ai vu moi, sortir de la boulangerie qui fait aussi et surtout uniquement PMU.
Et qu'il avait pas l'air d'avoir bu qu'une Suze le Paddy.

Enfin c'est ce que j'ai déduit quand je l'ai vu négocier le virage du pont à quatre à l'heure, au taquet de première et complètement à gauche.

J'ai bien cru que le capot allait exploser tellement ça couinait et fumait de partout.

Alors bien-sûr, j'ai ralenti, au risque de me retrouver assise à sa droite avec mon volant et mon pare-brise incrustés dans ma tête, au point de suffisamment lui coller au cul pour m'apercevoir qu'en fait, le Papivole, il avait crevé, et que ceci expliquait sans aucun doute cela.

Nous avons donc fait une promenade de tourisme en traversant le pont et dès que j'ai pu, j'ai tenté de retenir son attention en lui faisant deux ou trois clins d'oeil au moyen de mes phares.
Peine perdue au bout de quinze essais lorsque je m'aperçois que pas plus de rétroviseur que de ceinture la momie n'était équipée.

Sans me décourager pour autant et craignant que maman ne lui fasse ingérer le rouleau à pâtisserie par l'itinéraire bis, j'ai osé le coup de klaxon.
J'ai rapidement déduit à l'absence de réaction que le sonotone avait dû rester à la maison dans le verre à dent.

Qu'à celà ne tienne, on m'a toujours appris la politesse et le respect de l'âge.
J'ai facilement dépassé l'engin et son Kamikaze et me suis garée sur la droite.

Je sors rapidement et improvise vite fait une partie de Pictionnary.

"Pépé, t'as crevé." en gros, je geste.

Enfin, le joueur a répondu à mes avances.

Par un magistral doigt d'honneur suivi de moulinets des deux bras et d'un parfait occitan.

Et là, le film se met sur pause.
Et la dinde avec sa voix d'ascenseur des années soixante dix me laisse le choix:

a) J'insiste jusqu'à ce que la personne âgée immobilise son véhicule afin que je puisse l'aider à mettre la roue de secours.
b) Je m'aperçois que je n'ai pas mis mon gilet jaune et m'enfuis en courant, abandonnant là le pauvre monsieur à une mort certaine.
c) Je le traite de gros enculé de vieux.