Mon cher Victor,
La rentrée se rapproche à grands pas et l'angoisse monte. Je réalise un peu plus chaque jour que ça y est, je vais me lancer dans l'arène. Tu as de ces comparaisons... Oui, bon, c'est peut être un peu poussé mais enfin, tu sais, mon imagination galopante va souvent chercher les situations les plus invraisemblables... Et là, c'est un extrait du film "Gladiator". Russell Crow dans l'arène, pour son premier combat, comprend à peine ce qui lui arrive. C'est l'instinct de survie qui le fait se battre et... Oui mais enfin toi, tu n'en es pas à ce point-là, quand même ! Il ne faut pas exagérer, tu ne risques pas ta vie ! Ne casse pas sans cesse mes images, Victor... Bref.
Dans un premier temps, il se bat sous les huées si je me souviens bien (j'ai vu ce film il y a longtemps, pardonne ma mémoire défaillante), il est seul dans cette arène immense, seul et un peu désamparé. Cela n'a pas dû durer bien longtemps ! Quand les lions sont lâchés, il faut bien se remuer un peu et... Terminés les états d'âme ! Oui. C'est ce que je ferai moi aussi. Quand je serai dans l'arène, avec vingt-cinq lions en moyenne autour de moi, il faudra bien que je les dompte (cette comparaison n'est pas si saugrenue, Victor ! Combien de collègues ai-je entendu s'exclamer, à la fin de la pause café à la récréation : "Allez, je vais chercher les fauves !") et qu'ainsi (car l'un ne va pas sans l'autre...), je parvienne à séduire la foule, la mettre dans ma poche, une foule qui, souvent, me jugera et me demandera des comptes. J'imagine que tu parles des parents d'élèves... Ben oui ! De qui veux-tu que je parle ?
Bon. Calme-toi avec les parents. Ce ne sont quand même pas des monstres. Mais ouiiii je m'en doute ! C'était pour la métaphore !!! Et puis tu n'en es pas encore là. Tu n'es pas encore dans l'arène. Pour l'instant, tu es encore en vacances sous le... Bref... Sous la pluie de ta petite région. Là où tu te trompes c'est que dans mon esprit, je suis de moins en moins en libre et de plus en plus prête à faire mon entrée dans l'arène. Là, c'est comme si... C'est comme si j'étais dans le grand couloir, tu sais. Non, j'avoue... Mais sii ! Je suis un gladiateur qui s'apprête à combattre ! Je marche et devant moi, il y a ce grillage, qui va se lever. J'entends la foule, je sais qu'il y aura les lions, la sueur, les efforts. Je sais tout ça. Et j'ai peur. J'ai la peur au ventre. Mon petit doigt me dit de faire demi-tour mais une voix intérieure me souffle aussi: "Mais sii, Mirabelle, vas-y... Le combat t'excite, tu n'as qu'une envie : entrer dans l'arène. Oublie tes peurs, détends-toi, oublie la foule et concentre-toi sur les lions à dompter !". Je sais que cette voix a raison. J'ai envie mais j'ai si peur, si peur.
C'est mon premier combat. Mon premier vrai combat. Celui dont je me souviendrai toute ma vie durant. Il y en aura d'autres, des combats, et peu à peu, comme Russell Crowe, je manierai mieux mes armes, je connaîtrai mieux les lions, je saurai quels gestes, quelles attitudes adopter pour ne pas voir le pouce de la foule s'orienter vers le bas. En attendant, c'est mon premier combat. La grille est encore close, devant moi, mais je vois le soleil, tout au bout, qui descend sur l'arène, lourd comme du plomb. J'entends l'impatience de la foule, qui suppute sur la tête de la nouvelle combattante. Je ne sais pas encore à quoi ressembleront les lions, s'ils sont jeunes ou plus âgés ; je n'ai pas encore foulé le sol de l'arène. Je l'imagine, et je reste là, dans ce couloir, à regarder le grillage, la lumière, et à me dire que ça y est, c'est la bonne. J'ai tant attendu et c'est la bonne, ça va se réaliser. Je vais faire mon entrée dans l'arène. Ma première rentrée. Mon premier vrai combat.