Fredrik Erixon et Razeen Sally, le 5 février 2008 - Les dirigeants du monde se sont engagés à ce qu’il n'y ait pas de répétition des années 1930, quand le protectionnisme de représailles a transformé une récession, causée par le crash de Wall Street, en une longue décennie de dépression. Mais c'est de la répétition du protectionnisme rampant des années 1970 dont nous devrions nous préoccuper.
Le protectionnisme dans les années 1930 portait sur les droits de douane et a endommagé la fragile structure du commerce international. Mais l'économie mondiale a changé depuis lors, ainsi que les outils du protectionnisme. Même le plus borné des législateurs comprend que, avec la mondialisation des chaînes de production, vous risqueriez d'endommager la compétitivité des entreprises nationales si vous déclenchez des représailles tarifaires.
La leçon des années 1970 est différente. Des crises telles que l'effondrement de l'étalon-or et le choc pétrolier ont marqué la fin d'une longue période de boom et déclenché l'intervention de l’Etat, avec de nouvelles régulations du marché du travail et du marché des capitaux. Les subventions ont été saupoudrées sur des entreprises et des secteurs entiers en difficulté. Ces interventions nationales ont aggravé la crise initiale, prolongé la stagnation et engendré le protectionnisme. Choyées par des subventions nationales, les industries ont l’une après l’autre demandé à être protégées de la concurrence étrangère. Le résultat de ce processus a été le "nouveau protectionnisme" et le "commerce administré" entre pays riches dans les années 1970 et 1980.
Le parallèle entre cette époque et celle d’aujourd’hui parait désormais clair. Les entreprises reines du « social » des années 1970, tels que Chrysler et Rolls Royce, sonr de retour pour demander l’aumône, tout comme les constructeurs-automobiles dans d'autres pays. Les règles de l'Union européenne sur les aides d'État ont été assouplies. Aux États-Unis, le plan de relance de la nouvelle administration inclut des conditions de type « acheter américain ». La Russie a déjà introduit de telles dispositions. Dans des pays aussi différents que la Chine et la France, les secteurs "stratégiques" et les "champions nationaux" ont été protégés des investisseurs étrangers.
C'est le protectionnisme rampant. Il ne s'agit pas d'une déclaration de guerre commerciale faisant usage des droits de douanes, mais d’un protectionnisme fondé sur des armes non tarifaires.
La Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement a enregistré une hausse récente de nouvelles lois défavorables à l'investissement étranger, soit 25% de toutes les nouvelles lois sur l'investissement depuis 2005. Ce chiffre était de seulement 7,5% entre 1992 et 2004. Ces restrictions concernent essentiellement les secteurs de l'énergie, mais sont en train de se répandre. Par exemple, la Chine a restreint les investissements étrangers afin de protéger les champions nationaux dans l'industrie, l'énergie et les services.
Le "protectionnisme vert" représente encore une autre menace. L'Union européenne dispose déjà d'un système d'échange des droits à polluer et l'Administration Obama semble toujours favorable à l'idée. Parce que ces régimes imposent des coûts substantiels aux secteurs nationaux à forte intensité énergétique, la pression est de plus en plus forte pour imposer des coûts similaires aux pays produisant à moindre coût et en l’absence de telles contraintes environnementales. D’où les débats au sujet des "droits de douane – carbone, qui viseraient principalement les grandes économies émergentes, en particulier la Chine.
Ces obstacles aux échanges et aux investissements augmentaient depuis quelques temps, mais ils connaissent désormais une véritable explosion en raison de la panique ambiante face au ralentissement économique.
Que peut-on faire pour prévenir le protectionnisme qui paralyse l'économie, avec ses restrictions aux échanges et ses coûts élevés pour les producteurs, les consommateurs et les contribuables? Beaucoup pensent au cycle de Doha de l'Organisation Mondiale du Commerce. Malheureusement, un accord dans le cadre du cycle de Doha pourrait à peine faire la différence : les propositions actuelles ont été réduites à un très petit dénominateur commun, après sept ans d'âpres négociations. Par ailleurs, ces propositions contiennent tellement d’exemptions et de lacunes qu’elles pourraient entraver plutôt que faciliter le commerce international. Enfin, les accords de l'OMC exerv un pouvoir beaucoup plus faibles contre le protectionnisme non-tarifaire que les barrières tarifaires.
A ce titre, deux choses sont cruciales.
Tout d'abord, il est impératif d'empêcher le protectionnisme rampant d’échapper à tout contrôle. Un accord sur Doha contribuerait à juguler les droits de douane, mais il serait insuffisant. Les promesses non-contraignantes du G20 et d'autres groupes plus larges, notamment les lourdes instances du multilatéralisme, ne feront pas l'affaire non plus.
Idéalement, un groupe d'économies devrait constituer une « coalition de volontaires » en s'engageant clairement à ne pas tenter de recourir ni au protectionnisme tarifaire ni au néoprotectionnisme non-tarifaire (tel que les subventions octroyées aux producteurs nationaux et qui faussent les règles du commerce). Une telle coalition ne peut être construite que grâce au leadership actuel des grandes économies – les Etats-Unis, l'UE et la Chine en tête.
Deuxièmement, à moyen terme, les mesures unilatérales de libéralisation, qui « partent du bas », doivent être réactivées. Au cours des 20 dernières années, la libéralisation unilatérale par les pays en développement a été deux fois plus effective que les accords multilatéraux, profitant ainsi à des économies aussi différentes que les pays baltes, le Chili, la Chine et l'Inde. Il y a des antécédents : les crises à la fin des années 1980 et au début des années 1990 ont conduit à la libéralisation de l'économie et du commerce, permettant une croissance soutenue.
A la place des plans de renflouements et de dépenses publiques, les Etats doivent promouvoir les libertés économiques qui permettront d'accélérer la reprise.
Fredrik Erixon et Razeen Sally sont les co-fondateurs du European Centre for International Political Economy (ECIPE), un think-tank basé à Bruxelles.