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Comme une étoile

Publié le 06 février 2009 par Unepageparjour

Début de Kira B. Wassa

Comme une étoile, une auréole de lumière diaphane entourait Kira. La clarté de sa carnation, l’émeraude de son regard, la douceur satinée de ses lèvres douces, le frémissement de ses cheveux doré. B. remarquait que cette luminosité heureuse, par une délicieuse osmose, nimbait du même voile les personnes qui l’entouraient. La fille échevelée, à côté d’elle, paraissait presque belle, malgré ses traits ingrats et durs, même Iakoulenko, sous l’influence de Kira, dégageait une beauté particulière.

B. s’étonna très vite de la dextérité avec laquelle Kira maniait la langue française. Presque sans accent. Elle se lançait dans de longues phrases, construites avec habileté, qui laissait ce pauvre Iakoulenko bouche bée, tentant par moment de placer quelques pauvres mots d’anglais. B. comprit qu’elle exerçait en tant que professeur de français, auprès de jeunes adolescents de douze à quinze ans. Ce goût pour la littérature française remontait presque à son enfance, lorsqu’elle avait fait la connaissance avec tous ces écrivains de génie, Alfred de Musset, le premier, qui l’avait conquise à quinze ans, lorsqu’elle avait lu pour la première fois les Caprices de Marianne, Lorenzaccio ou encore On ne badine pas avec l’amour. Puis Victor Hugo. Cosette, Jean Valjean, et par-dessus tout, le Journal d’un condamné. Elle aimait la France, ce pays de l’amour et de la liberté, des droits de l’homme et de la fraternité ! Elle expliquait tout cela en posant sa main sur celle de B., le regard enflammé par son idée de la France. Et Rimbaud ! s’exclamait-elle ! Arthur Rimbaud ! J’avais dix-sept ans et tellement malheureuse après la mort de Père. Oui, j’ai lu tout Rimbaud. Je m’échappais dans ses rêves. Je courrais le long du Dniepr, dans le froid et le vent, et je l’imaginais, fuguant, fuyant la guerre, et si amer devant tous ces jeunes morts.

B. l’écoutait. Mais il se demandait si cette somnolence légère, malgré tout, qui s’immisçait en lui, au milieu du flot de paroles de la jeune femme, venait des mots eux-mêmes, du champagne, du voyage express, de l’attente, du dépaysement. Il la regardait et s’étonnait, de plus en plus. Il connaissait peu, voire pas du tout, les noms qu’elle citait avec tant de vivacité. Rimbaud ? Oui, il en avait entendu parler à l’école. Mais qui était-ce vraiment ? Elle paraissait le connaître comme s’il était son ami. L’autre fille ne disait rien. Iakoulenko semblait avoir abandonné toute velléité de suivre la conversation et s’acharnait sur son portable, les sourcils froncés.

Kira continuait, caressant la main de B. qui, par moment, réprimait un bâillement et jetait à la dérobée des coups d’œil sur sa montre, qu’il avait malheureusement laissée à l’heure de Paris.

Les hommes du gaz vinrent le tirer de cette douce torpeur ! Iakoulenko se crispa. Ils étaient trois. Leurs petits yeux vifs, habiles, malgré les sourires, conservaient un air rusé dont B. se méfiait. Ils apportaient une bouteille, de vieille vodka, la meilleure du monde, disaient-ils dans un anglais voyageur et roublard. Ils s’assirent, avant même qu’on les y invitât. Ils regardaient Kira. Interrogateurs.

Alors, B. se leva et porta un toast.

A ma femme ! s’écria-t-il. A ma Kira, ma femme, ma future épouse. 

Les hommes du gaz applaudirent. Kira frissonna et enfila un vieux gilet noir, qu’elle avait gardé sur le dossier de sa chaise. B. s’aperçut qu’il était déchiré au niveau du coude gauche, par l’usure, sans doute.


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