Il est une merveilleuse histoire, une nouvelle écrite par Anton Tchekhov, intitulée La Dame au petit chien (Dama c sabatchkoï, pour mes amis russophones, s’ils supportent de voir leur belle langue transposée en alphabet latin). Il est un merveilleux film, Les Yeux noirs (Ochi Tchiornie, pour les mêmes), signé Andreï Mikhalkov, librement inspiré de cette nouvelle qui met en chair cette dame, sous les traits, sauf erreur de ma part, de Yelena Safonova, Russe, si russe… Ce film est une délicatesse, un chocolat fin, une gourmandise. Beau, romantique, inspiré. Même le petit chien joue bien.
Il existe l’exact inverse de cette dame au petit chien.
La dame au chien adore harceler le concierge. Il est très probablement étranger, vu son fort accent. Elle est très probablement xénophobe, vu son attitude. Elle lui demande mille et une chose impossible : le courrier livré avant 9 heures, alors que le facteur passe à 10 heures (”mais la poste est en face, pourquoi n’y allez-vous par directement !”), les poubelles rentrées avant 7 heures, alors que les collecteurs passent à 7 h 30 et tutti quanti… Le concierge est gentil. Il lui répond patiemment, lui explique et réexplique que ce qu’elle demande est impossible. “Ce n’est pas grave, elle reste une heure et chaque fois, elle invente quelque chose de différent. Ca m’est égal et elle me distrait pour la journée”, explique-t-il, goguenard.
En attendant, l’entendre aboyer dans le hall pendant que son chien tire stupidement sur sa laisse en ahanant comme un poitrinaire donne envie de lui flanquer des gifles. Le regard mauvais qu’elle me lance lorsque je claironne “bonjour messieurs dames” en passant, me signifie qu’elle aussi estime qu’il y a des gifles qui se perdent. C’est une mini-guerre des nerfs : mon mètre soixante-quinze qui toise de haut son mètre cinquante (qui a dit “de tour de taille” ?), mon joli manteau noir contre sa pelure informe, mon petit chapeau chic contre son galurin avachi.
Elle est moche et elle est méchante avec mon copain le concierge. Son chien sent mauvais et il se gratte sans cesse. Juste ciel, préservez-moi d’un pareil destin ! Je cours relire Balzac.