C’est une vision du monde faussée ou bien trop réelle à avaler.
Là se trouve ma faille.
Moi Arthur M, temps présent, aujourd’hui, l’âge adulte.
Mes aller/retour contradictoires, hémisphère gauche, droit, engloutissement pervers de ce qu’il me reste d’esprit sain.
C’est à voir avec les erreurs du passé, ou cette idée que l’on s’offre à soi-même d’avoir totalement maîtrisé son devenir.
Mais c’est un leurre fatal que l’on ne digère jamais.
Moi Arthur M, de retour de la rue.
Moi Arthur M, j’ai fuis le trottoir, la trouille au ventre.
Dans ses yeux j’ai tenté l’avenir.
J’ai épousé la fille au manteau rouge…
…et mes traits se sont défroissés.
Elle a gardé cette habitude de me crobarder au vieux bic bon marché dans les moments où je ne suis plus rien.
C’est une habitude étrange.
J’ai demandé sa main dans un train puisque toujours on y revient : le wagon, la gare, le grand hall, l’odeur écoeurante des quais surchauffés et glaciaux des tunnels.
(Tout gagner, tout perdre)
La fille au manteau rouge a fait « oui » de ses deux yeux immenses. Son cou, son nez plissé et la cicatrice rosée sur joue droite d’opale ont répété « oui » comme ça venait…en cœur.
J’ai dû être heureux et désespéré.
Un instant précis. Un souvenir.
On sait comme le temps efface…
Mes idées floues se contredisent. Encore.
Je me demande, seul, si je deviens fou.
Je me demande, con, si je vais blêmir de devenir dingue.
J’en crève déjà là, maintenant. Mais après…
La fille au manteau rouge me répète qu’il n’y a pas de fatalité…elle se fâche de ma lâcheté, de ma tête qui s’enfonce dans l’eau, mon ego qui boit la tasse…elle se fâche.
La fille au manteau rouge est dans la lutte.
Moi Arthur M, temps présent, je subis les attaques.
J’en suis après quelques études, professeur de mathématique, perdu dans la logique.
C’est à voir avec cette vision du monde éclatée, mal centrée, comme si toujours, j’en reviens à ce que je rêvais d’être, sans issue, sans retour.
Et je recrache l’eau de ma gorge et de mes poumons comme je peux.
J’agite les bras, les jambes, je me débats comme si j’étais moi-même : la cause perdue.
Le mal, le poids de mon histoire, la maladie, la lourdeur de ce regard, le chat mort sur le bitume, la migraine qui cogne, la vitesse sur autoroute, le chuintement de la bouilloire au petit jour, la crampe au mollet, le déclic du répondeur, la plainte du talon d’Achille, le tympan épuisé par les reproches, l’odeur de mon oreiller, la perte et le fracas de perdre, le sachet de thé dans l’eau trop tiède, tes doigts lorsqu’ils tremblent (un peu), l’obligation de patience, faire semblant ma prière, la terreur de perdre, les yeux qui piquent (tes yeux qui piquent), ce que je perds de toi en retenant chacun de mes gestes, les feuilles mouillées qui dégueulassent le trottoir d’en face, les tuiles emportées par le vent, le compteur qui tourne encore, les heures creuses et puis celles qui sont pleines, la pizza froide sur le canapé…
Moi Arthur M, temps présent, adulte, la cause est perdue.
La cause est perdue.