Le téléphone vibre. Un appel de B., rapide, qui me demande de m'habiller pour ce soir. Une carte bancaire m'attend, au fond d'un tiroir. Code 1111. Il me précise les magasins à visiter, le type de robe à essayer, les couleurs, les tissus, les chaussures, le manteau. Il n'oublie rien.
C'est important, insiste-il, et il me fixe un rendez-vous pour neuf heures du soir, dans un restaurant réputé de la rive gauche. Nous dînerons avec un ami italien.
Je raccroche, un peu rêveuse. J'avais tant de mal à trouver à me vêtir, quelques jours plus tôt à peine! Je repense à cette robe rouge, dans laquelle B. m'a vue pour la première fois, et toutes les photos de Wladimir.
Je passe mon après-midi comme une star de cinéma, affairée, les mains encombrées de paquet, transitant d'une boutique de luxe à l'autre, étonnée des sourires des filles, des courbettes des vendeurs, des oeillades jalouses des autres clientes. Je m'engouffre d'un taxi à l'autre, l'argent file entre mes doigts, sans même plus y penser. L'angoisse d'apparaître en retard au rendez-vous donné devient mon seul horizon. Je tiens à tout pris à me montrer parfaire, digne de son attente.
A neuf heures précises, je passe la porte d'entrée du restaurant et je glisse, émue, dans cette ambiance feutrée, à la musique délicate. Le piano blanc me parait immense, le pianiste, concentré derrière ses petites lunettes rondes, le dos bien droit, porte sur son visage l'air juvénil d'un ange. Des lustres de cristals scintillent comme des étoiles. J'aperçois vite B. et son italien, un vieil homme aux sourcils épais, gris, dont les traits burinés me rapellent d'anciens pêcheurs du fleuve, qui racontaient le soir des histoires sordides, du temps des communistes, crachant dans le feu leurs glaires lourds de tabac.
Voici ma femme, dit B. avec emphase.
L'italien s'appelle Andrea Di Bartolomeo. Je comprends mal son français, mais j'aime son accent, déformé par le soleil et la Méditérannée. Il me sourit souvent, pose parfois sa main sur mon bras, d'un air paternaliste, décrivant de l'autre d'étranges arabesques, puis se met à rire. Je ris aussi. Un peu ivre. Un peu fatiguée. Nous revenons chez nous, accompagnés de Di Bartolomeo. Dans le taxi, je les entends discuter à voix basse, sans chercher à deviner le contenu de leurs échanges. J'ai surtout hâte de retrouver mon lit bien douillet, le matelas épais, les satins, les soieries, les organsins.
Je me couche sans attendre B., bercée par le ronronnement de leur discussion, qu'ils poursuivent dans le salon. Parfois, j'entends l'exclamation claire des verres qui s'entrechoquent. Un contrat, sans doute, un contrat si important pour B. qu'il est prêt à en sacrifier sa seconde nuit avec sa jeune épouse. Mes rêves sont étranges.