La tempête faisait rage. Transformant l'océan en une furie aussi noire et violente que les nuages au dessus. Et la frégate en un fétu de paille oscillant dangereusement sur la crête des lames. Les éclairs déchiraient le ciel. Les coups de tonnerre, assourdissant, qui suivaient secouaient sans relâche les trois mâts nus et dégoulinant de pluie. Le vent mugissant dans les voiles déchirées, sur le pont. Entrainant un roulis qui précipitait sans ménagement les passagers d'un côté et de l'autre du bastingage. Le navire perdu, submergé par des trombes d'eau et les vagues de l'océan, craquait de toute part, comme s'il allait se disloquer.
Cramponné à la barre, Jay crut apercevoir à travers la violence des éléments déchainés une tâche sombre droit devant. Il protégea ses yeux du vent et scruta avec attention cette tâche uniforme, le cœur battant. Au même instant un éclair zébra le ciel, éclairant les lieux comme en plein jour.
« Terre ! Terre ! »
Martin Lorient le rejoignit aussitôt. Jay tendit le doigt, à moitié aveuglé par les rafales de pluie.
« Terre, capitaine ! »
Martin vit alors les côtes accidentées. Il fronça les sourcils, inquiet de l'allure à laquelle elles semblaient se rapprocher d'eux... Les deux sœurs, alertées par les cris du jeune hindou, s'entraidaient courageusement pour parvenir jusqu'à eux. Martin attrapa la main d'Ashley et l'attira contre lui, tandis qu'Amy s'agrippait au gouvernail, la main en paravent pour mieux voir.
Un autre éclair illumina à nouveau les côtes.
« Nous sommes sauvés !
- J'ai bien peur que non, Amy ! Répondit Martin en blêmissant.
- Pourquoi ? Que... ? »
Amy pâlit à son tour.
« Nous approchons trop vite ! Hurla Martin. Nous allons droit sur les rochers ! Mon Dieu ! Jay ! Redressez le navire! Nous fonçons sur un écueil !
- Je ne peux pas ! Lui fit écho la voix suraigüe de l'hindou. Attention ! Nous... »
Les mots se perdirent dans le fracas épouvantable qui ébranla toute la frégate quand elle heurta de plein fouet le gigantesque rocher dressé comme un i face à elle.
Amy lâcha prise et fut précipitée contre la balustrade où elle se retint avec une remarquable présence d'esprit pour ne pas basculer par-dessus bord. Jay, cramponné à la barre, parvint à ne pas tomber et Martin, protégeant Ashley de tout son corps, s'était retenu à temps aux cordages pour ne pas être soulevé par le choc. Le navire ballota un court instant de droite à gauche, s'immobilisa... puis il commença à s'incliner par l'avant, le flan droit déchiré en un trou béant où l'eau s'engouffrait abondamment.
Amy, après un moment de complète hébétude, se redressa péniblement et leva les yeux avec terreur. Jay lui tendait la main. Elle l'attrapa aussitôt, au bord des larmes.
« Nous sommes perdus ! Bredouilla le jeune hindou en s'agenouillant avec elle auprès d'Ashley et de Martin. La Frégate coule !
- Il faut quitter le bord ! S'écria le capitaine Lorient, montrant un sang froid qui rassura les deux sœurs épouvantées. C'est notre seule chance ! Faites tous comme moi ! »
Il saisit la corde suspendue au gouvernail, l'attacha autour de lui, en entoura la taille d'Ashley, Jay la mit à son tour et voulut la passer autour de celle d'Amy... Mais cette dernière sauta sur ses pieds, horrifiée par la pensée qui lui traversa l'esprit au même instant :
« Les pirates ! Ils sont dans la cale ! On ne peut pas les abandonner !
- C'est trop tard ! Nous ne pouvons plus rien pour eux! » Cria Martin en tentant de la saisir.
Mais Amy échappa à son geste et s'élança sans plus réfléchir vers la trappe ouverte au milieu du pont :
« Non ! Non ! Nous ne pouvons pas les laisser mourir comme ça !
- Amy ! Revenez ! Mais vous êtes complètement folle!
- Amy ! » Hurla Ashley.
Peine perdue. Elle disparaissait dans les profondeurs sûrement noyées du bateau en perdition. Jay se détacha aussitôt et bondit à sa poursuite. L'inclinaison du navire lui fit illico perdre l'équilibre et il se mit à rouler le long du pont. Il eut heureusement la présence d'esprit d'attraper le coin de la trappe, stoppant net sa chute. Luttant contre la violence du vent et de la pluie, il se laissa glisser à l'intérieur.
Amy trébucha dans la pénombre sur les barreaux détrempés de l'échelle et fonça tête baissée dans la porte vermoulue qui s'ouvrit avec fracas sur la noirceur malodorante de la cale inondée. Elle retint une exclamation d'effroi et parvint à s'agripper à la poignet. Les pirates, qui avaient de l'eau jusqu'à la poitrine, secouaient les grilles en hurlant de frayeur. Quand ils aperçurent l'adolescente, ils se figèrent... Percy Le borgne passa la main à travers les barreaux et l'implora :
« S'il vous plait, la clef ! »
Paniquée, Amy la chercha des yeux, à droite, à gauche...
« Derrière vous, Milady ! »
Elle la vit enfin, suspendue au mur craquelé, s'en empara et la lança adroitement au capitaine Le borgne.
« Essayez de vous sauver ! Et que Dieu vous protège ! »
L'espace d'une courte seconde, leurs regards se croisèrent... Amy sourit brièvement. Puis elle disparut péniblement dans les escaliers exigus qui remontaient sur le pont. Percy cherchait fébrilement le trou de la serrure dans l'eau sombre, tout en songeant, vaguement ému, l'œil encore plein de l'image de la belle adolescente brune. Dieu te bénisse, Amy De Loxley, tu as le cœur d'une vraie Lady !Ainsi parle la Petite Lady :
"la noblesse ne vient pas du nom que l'on porte, fut-il le plus glorieux, mais du coeur qu'on laisse parler."
Et croyez-moi elle en a,de la noblesse, la petite héroïne de mon nouveau roman!
N'oubliez pas parution en mai (j'espère).