Nourredine Saadi : La Nuit des origines

Publié le 14 février 2009 par Icipalabre

Nourredine Saadi
La nuit des origines
L’Aube. 2005. Prix Beur FM Méditerranée 2006.

“A son arrivée à Paris elle avait mis du temps à comprendre pourquoi, malgré son désir de mettre de la distance avec son pays, elle retournait si souvent aimantée par ce quartier qui le lui rappelait. Elle se rendait compte qu’à son insu elle était immanquablement attirée par les lieux pareils à ceux qu’elle avait voulu fuir et qu’elle recherchait là sur les visages de ses compatriotes immigrés, dans cette langue dont elle reconnaissait l’accent de chaque région, sur les trottoirs encombrés d’étals de légumes, de fruits -Tiens, des figues de barbarie !-, que l’on ne trouvait qu’ici, s’enfonçant dans les ruelles, les passages étroits alignant des boucheries où pendaient des bêtes sanguinolentes et des guirlandes de chair ou ces petites échoppes regorgeant de tissus aux couleurs vives, dorées, argentées voisinant avec les petits vendeurs de colifichets ou d’épices et de plantes aromatiques. Ici, comme à Belleville ou au marché de Bicêtre, elle avait le sentiment que l’Algérie n’avait pas de géographie ni de limites territoriales et qu’elle continuait à se déplacer sous ses pieds comme une peau dont elle n’arriverait jamais à se défaire.” ( Extrait p.143-144)

Un très joli livre, insolite, étrange, dilué dans le passé et profondément ancré dans le réel. Un pont fragile qui lie la Médina de Constantine et les Puces de Saint-Ouen. Un regard nostalgique sur le pays abandonné, une visite guidée dans un marché cosmopolite. Une rencontre entre Alain-Ali dépossédé de ses origines, et Abla-Alba hantée par les siennes. Roman d’amour impossible autant que de mémoire trouble, La nuit des origines nous convoque à une interrogation sur l’identité et sa perte.

Le décor : une boutique de Saint-Ouen dans laquelle s’abrite une jolie algérienne fuyant une pluie rageuse, dans les mains, un manuscrit saint du XIe siècle de l’ère arabe, qu’elle souhaite vendre. Il est là à discuter avec son ami antiquaire, et trônant au milieu d’une pièce habitée de bric et de broc, un magnifique lit à baldaquin, qu’elle reconnaît comme le sien. Ces deux objets, à eux seuls, fondent le drame de ce couple, véritable tragédie grecque dont l’épilogue est inscrit dans le commencement, le complot de la destinée. Le mal-être d’Abla trouve sa complexité dans son passé, un mariage obligé, le constat du ventre vide, le divorce par nécessité, Constantine délaissé, un pays bouleversé, le grand-père et ses prières, enfin ce sentiment diffus de se désagréger, malgré ses choix assumés, son nom revendiqué, ces psalmodies ancestrales qui la portent, l’habitent… sans réconfort. Celle d‘Alain, enfant de la DASS, s’enferre dans son absence de filiation : Constantine toujours, lieu de naissance et de bref passage, dans un amour qu’il contrôle si peu, sa seule assise étant figurée par l’amitié des « puciers » dont il défend les intérêts.

L’inachèvement de cette très belle histoire d’amour, prescrit dans un ailleurs « historique » qui les dépasse, n’est que la face émergée du questionnement existentiel qui parcourt le livre porté par une langue ample et imagée : la confrontation du « moi » avec l’Histoire qui vous meurtrit et des référents culturels qui ne s’expliquent plus ; le « moi » fondateur qui vous construit ou… dé-construit, le « ici et maintenant » qui rassure… un peu.
De fait, les origines ou leur disparition, dans une Algérie torturée par son histoire coloniale et ses conflits actuels, sont des problématiques que Nourredine Saadi a déjà explorées dans ses précédentes oeuvres, Dieu-le-fit et La maison de lumière. Fortement immergé dans des préoccupations autant mystiques, philosophiques que politiques, l’auteur propose des personnages allégoriques pour dire une terre qui se cherche et un Paris-l’exil, riche de tous ces passés recomposés. Dans ces allers-retours entre l’enfance perdue ou irréalisée, et l’impossibilité à vivre une réalité tangible, il reste cependant des lieux magiques formant une société idéale où se côtoient dans la plus grande fraternité ceux que des histoires singulières ont malmenés.
Monique DORCY
dorcy.monique@orange.fr

Qui est Nourredine Saadi
Nourredine Saadi est né et a grandi à Constantine. Il part faire ses études à Alger où il devient professeur de droit. En 1994, il quitte l’Algérie pour la France et s’installe à Douai où il enseigne à l’Université d’Artois. Universitaire et écrivain, il est l’auteur de plusieurs romans, de nombreux textes et articles. Il est une figure reconnue du monde culturel algérien et collabore à plusieurs revues. Il est notamment chroniqueur dans le quotidien de langue française Le Matin à Alger.

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