La nuit des origines
L’Aube. 2005. Prix Beur FM Méditerranée 2006.
“A son arrivée à Paris elle avait mis du temps à comprendre pourquoi, malgré son désir de mettre de la distance avec son pays, elle retournait si souvent aimantée par ce quartier qui le lui rappelait. Elle se rendait compte qu’à son insu elle était immanquablement attirée par les lieux pareils à ceux qu’elle avait voulu fuir et qu’elle recherchait là sur les visages de ses compatriotes immigrés, dans cette langue dont elle reconnaissait l’accent de chaque région, sur les trottoirs encombrés d’étals de légumes, de fruits -Tiens, des figues de barbarie !-, que l’on ne trouvait qu’ici, s’enfonçant dans les ruelles, les passages étroits alignant des boucheries où pendaient des bêtes sanguinolentes et des guirlandes de chair ou ces petites échoppes regorgeant de tissus aux couleurs vives, dorées, argentées voisinant avec les petits vendeurs de colifichets ou d’épices et de plantes aromatiques. Ici, comme à Belleville ou au marché de Bicêtre, elle avait le sentiment que l’Algérie n’avait pas de géographie ni de limites territoriales et qu’elle continuait à se déplacer sous ses pieds comme une peau dont elle n’arriverait jamais à se défaire.” ( Extrait p.143-144)
Un très joli livre, insolite, étrange, dilué dans le passé et profondément ancré dans le réel. Un pont fragile qui lie la Médina de Constantine et les Puces de Saint-Ouen. Un regard nostalgique sur le pays abandonné, une visite guidée dans un marché cosmopolite. Une rencontre entre Alain-Ali dépossédé de ses origines, et Abla-Alba hantée par les siennes. Roman d’amour impossible autant que de mémoire trouble, La nuit des origines nous convoque à une interrogation sur l’identité et sa perte.
De fait, les origines ou leur disparition, dans une Algérie torturée par son histoire coloniale et ses conflits actuels, sont des problématiques que Nourredine Saadi a déjà explorées dans ses précédentes oeuvres, Dieu-le-fit et La maison de lumière. Fortement immergé dans des préoccupations autant mystiques, philosophiques que politiques, l’auteur propose des personnages allégoriques pour dire une terre qui se cherche et un Paris-l’exil, riche de tous ces passés recomposés. Dans ces allers-retours entre l’enfance perdue ou irréalisée, et l’impossibilité à vivre une réalité tangible, il reste cependant des lieux magiques formant une société idéale où se côtoient dans la plus grande fraternité ceux que des histoires singulières ont malmenés.
Monique DORCY
dorcy.monique@orange.fr
Nourredine Saadi est né et a grandi à Constantine. Il part faire ses études à Alger où il devient professeur de droit. En 1994, il quitte l’Algérie pour la France et s’installe à Douai où il enseigne à l’Université d’Artois. Universitaire et écrivain, il est l’auteur de plusieurs romans, de nombreux textes et articles. Il est une figure reconnue du monde culturel algérien et collabore à plusieurs revues. Il est notamment chroniqueur dans le quotidien de langue française Le Matin à Alger.
En savoir plus:
- Autre Critique de La Nuit des origines
- Nourredine Saadi: L’art comme quête des origines
- Timkhardit : Bibliothèque virtuelle de Kabylie (critique de “La maison de lumière” de N.Saadi)