Le FESTHORN 2008 (Festival des Musiques de la Corne de l’Afrique) s’est déroulé à Djibouti du 14 au 19 décembre dernier. Il n’est pas trop tôt pour conclure à sa réussite. Durant une semaine, les audacieux entrepreneurs de ce festival désormais bien implanté dans la cartographie culturelle de l’Afrique, nous ont offert une gerbe de rythmes et de sonorités dont seul un malentendant eut pu ne pas distinguer l’extraordinaire diversité.
Un festival “transafricain”
Car, bien qu’estampillé à l’origine “Festival des Musiques de la Corne de l’Afrique”, l’événement peut s’enorgueillir de la ligne “transafricaine” qui signe désormais son identité et se flatter d’avoir convié à l’occasion de sa neuvième édition une pléiade d’artistes de niveau international venus des rives atlantiques du continent. C’est ainsi qu’après Tyken Jah Fakoly (Côte d’Ivoire), Ismael Lo (Sénégal), Kajeem (Côte d’Ivoire), Seyni & Yeliba (Guinée Conakry) , Macase (Cameroun), Jeff Kavanda (Congo-Kinshasa) ou encore Kamaldine (Guinée), produits entre 2003 et 2007, l’équipe de l’ADAC n’a pas hésité cette année encore à solliciter l’agence ZHU CULTURE des célèbres frères Mayitoukou pour booker la fine fleur de la musique africaine actuelle.L’affiche de cette année avait en effet de quoi faire pâlir d’envie les diffuseurs occidentaux les plus réputés, car réunir en un même événement des formations somaliennes, kényanes, puntlandaises, éthiopiennes et djiboutiennes, d’un côté, le duo brazzavillois Lang’i, les rappeurs camerounais Bantou Po Si et le célèbrissime crooner de Khartoum Abd El Gader Salim, de l’autre, a constitué un sensationnel pari. Un défi audacieux que peu de festivals européens aurait pu relever eu égard aux coûts de production et aux frais de déplacement, en général beaucoup plus lourds une fois passé le détroit de Gibraltar.
Si l’honorable ambition des organisateurs s’est concrétisée en une fresque inédite où les “rumba-complaintes” congolaises ont provoqué une émotion aussi forte que les chansons lyriques soudanaises, il y a fort à parier que personne n’avait envisagé l’entrée surprise sur scène d’Oupta (la chanteuse de Lang’i) lors du concert de clôture d’Abd el Gader Salim au Palais du Peuple ! Sans le soupçonner, les chanceux festivaliers présents dans la salle ce soir-là, ont pu assister à une rencontre improvisée d’exception, mais qui, si l’on s’intéresse à l’histoire des musiques au sud du Sahara, n’avait rien d’improbable. Une coïncidence en effet qui n’aura pas échappée aux spécialistes : la voix du légendaire Abd el Gader Salim et celle de la jeune prodige Oupta réunies sur une partition impromptue… n’y aurait-il pas là l’illustration moderne par des voix d’aujourd’hui de ces fusions issues de siècles d’interactions et d’échanges qui ont conduit les caravanes chamelières du Bilâd-al-Sudan à s’abreuver aux sources des traditions mélodiques et rythmiques des civilisations centrafricaines, et d’autres comme les Peuls et les Bambaras ? Khartoum est bien loin de Brazzaville objecterez-vous ! Mais qui contestera les concordances entre les puissantes mélopées des “biniou koz” bretons (cornemuses) et les stridulations énergiques des “duda” ukrainiennes ?! Ainsi donc, le cousinage atemporel entre les chansons profondes, impressionnantes, presque ascétiques de ces deux artistes, que deux générations et 2876 km séparent, n’aurait-il peut-être rien d’hasardeux. Il pourrait bien être au contraire le témoin tardif d’une hypothétique filiation héritée des flux culturels transafricains qui ont façonnés les formes et les couleurs des musiques africaines d’aujourd’hui, des dunes de Nubie aux savanes du Batéké.
Il ne manquait au panorama que l’imprévisible Abayazid, griot du Guux, bluesman des nomades, chanteur afar bien connu des Djiboutiens ( hélas évincé lors des présélections), pour confirmer la cohérence d’une programmation qui a su mettre à l’honneur les richesses et les spécificités de quelques traditions vocales finalement peu connues du grand public.
Mais d’autres choix ont vite consolé le public de cette absence.
(à suivre: “L’arrivée des sound system”)
Photos: © Luc Mayitoukou / Zhu Culture