Nous entendions sur France-Inter, en voiture, revenant d’une réunion familiale près de Lausanne, une émission sur les « fins du monde ».
Entendus non comme fins des temps mais comme « bouts du monde », là où, semble-t-il, on ne peut aller plus loin. L’écrivaine-voyageuse avait recensé vingt-deuxde ces bouts du monde, avec, en tout premier, évidemment, Ushuaïa, où nous étions voici quelques semaines. Je n’ai pas assez dit la beauté, l’harmonie, ni la pureté. Ushuaïa est certes une ville très habitée où les touristes débarquent en cohortes (il faut les voir, nos retraités en bandes de joyeux drilles à l’assaut des parillas, dès l’heure du dîner venue), mais si on s’éloigne un peu de la maison du tourisme et des embarcadères pour les îlots du canal de Beagle, un peu à l’ouest, on entre dans le domaine du Parque Nacional de Tierra del Fuego, territoire de forêts battues par le vent austral où des bagnards étaient autrefois employés à extraire l’antimoine. Quelques centaines de mètres après la frontière du Parc, un sentier monte à droite, longeant d’abord la petite voie ferrée qui servait à convoyer le minerai et qui transporte aujourd’hui les touristes, puis, obliquant sur la gauche, on escalade une colline boisée culminant à trois cent mètres, où l’on croise quelques lapins. Les arbres se balancent. Ce sont des lengas, sorte de hêtres (nothofagus antarctica) qui peuvent atteindre dix mètres, et qui s’entrechoquent en émettant des grincements sinistres.
De lourdes protubérances enserrent leurs branches, champignons qui s’amoncellent et contre lesquels lutte l’arbre en développant une excroissance qui les enferme. Parmi les buissons d’épineux, on parvient au sommet qui domine la baie de Zariategui, face au Chili et à l’île Rotonda. Plus bas, des barrages de castors (importés, qui se sont multipliés) donnent à la forêt l’aspect d’un champ dévasté par la tempête.
Revenus au niveau de la mer, il ne reste qu’à suivre le sentier côtier, un peu plus fréquenté. Les arbres toujours zèbrent le ciel de leurs branches en ligne brisée. Peut-être quelques ressemblances avec d’autres sentiers côtiers, comme celui du cap Larguier, si ce n’étaient ces grands glaciers, qui bordent le canal. Ici vivaient donc les Yamanas. On foule au pied des petits tas de coquilles vides : ce sont les restes de leurs repas de coquillages. Ainsi, par delà leur disparition, ils nous font signe encore. Eux que Darwin dédaigna car il pensait que leurs « cris inarticulés » n’étaient pas un langage, il fallut toute la persévérance d’un pasteur anglais, Thomas Bridges, pour prouver qu’ils avaient une langue aussi complexe que la notre. Etabli en ce bout du monde avec la seule compagnie des Indiens, il établit un dictionnaire de leur vocabulaire, gros volume qu’on voit encore en vente dans les musées.
PS : tout ce voyage bien sûr grâce à Road-to-Patagonia (merci Y. et A., merci… El Flaco !)
aquarelle, face à l’isla Rotonda