A certains vivre parait comme une évidence, au point que jamais il ne leur semble bon d'y mettre un peu d'eux même, un peu de ce qui fait que semblables, nous sommes pourtant tous si différents et dans le même temps totalement indifférents aux différences qui nous séparent des autres. Ils naissent et disparaissent. Et entre les deux s'attachent à tout posséder, le vain et l'utile et se fichent bien de savoir si une seule minute de leur vie leur a appartenue. Ils possèdent et je ne vais pas faire là la liste des emmerdements qui les accompagnent à la fosse commune de l'humus puisque hormis leur dépouille, et encore, rien de ce qui les pleure en clignotant, n'est tout à fait bio dégradable. Putréfiant tout à fait je veux dire. Vivre pour eux est de l'ordre du rempart, de la forteresse nécrophage. Ils se consomment en quelque sorte, se délectent tristement des attraits dont les époques successives les ornent comme de vieilles raclures endimanchées. Voyez par exemple ces vieux fringuants, équipés de pieds en caps pour le trecking entrepreneurial, les longues marches dominicales, en groupes arrogants comme des scouts fripés, frappés de plein fouet par la dernière averse, la toute dernière averse. Pathétiques !
Vivre pourtant n'est pas une activité de loisir, guidée par les mass média. C'est un foisonnement de dégoûts où parfois surnage les restes d'un bonheur remplis de saintes frayeurs. Vivre me hante. Et je ne sais jamais quand cela va commencer ni même si cela va commencer un jour. Un jour entre deux essoufflements, entre deux coups de coeur aussi vains l'un que l'autre, entre deux trains remplis du morne attrait des voyages qui n'en sont plus puisque l'on a plus le temps de les vivre. Et nous voici sur le quai de la gare, emballés comme des kilos-watt-heure, même pas le temps d'en griller une dans les chiottes du TGV que déjà on y est, nulle part. Tiens je vivrai bien là, trop tard, là est déjà passé et l'arrêt buffet n'était pas prévu. Vivre pourtant c'est aussi s'arrêter de ... vivre, en pleine rue ouvrir un sac de voyage, en sortir une arme automatique et faire feu sur tout ce qui croit vivre en se laissant absorber par l'absence de mouvement ahurie du quidam qui n'a pas pris le temps de voir la balle lui arriver en pleine poitrine. Un déséquilibré abat douze honnêtes citoyens dans la rue du commerce, puis se donne le temps d'un double express avant de se donner la mort par absorption d'une dose massive de sucre. Un déséquilibré que son diabète rendait fou de douceur.
"Vivre me tue", disait l'autre, dont j'ai oublié le nom mais qui pour le moins m'est cher puisqu'au moins il s'est donné le temps de m'arrêter dans ma course stupide en gravant dans mon esprit cette simple sentence : Vivre me tue.
Vivre pourtant, il est deux heures trente du matin, ma logeuse fait le ménage dans les escaliers. Elle sait que vivre c'est voir disparaître les pays que l'on a aimé, les êtres que l'on a chérit, le sucre et le sel et les alcools qui font tout oublier, même les cigarettes qu'il faudrait arrêter. Arrêter de vivre ? Elle est bien trop forte pour s'y résoudre alors elle fait le ménage, comme si le matin qui vient n'était pas pour elle mais que cela ne peut pas faire que dans l'escalier traîne un seul poil de ses "petits chiens", un seul de ces moutons désespérant et qui jamais ne montent ni ne descendent l'escalier. Les moutons ça ne vit pas, ça se ramasse. Il pleut, à présent que vivre devient un peu plus léger, je vais ouvrir en grand la fenêtre et après la pluie je vais reprendre la lecture des mémoires de Lacenaire (chez José Corti). Ce vivant qui passa insensiblement de la poésie au meurtre. Comme de juste. Bonsoir.