Il regardait le tableau qu’elle avait accroché au-dessus du piano d’un air mauvais.
- Alors ? lui dit-elle en souriant.
- Alors c’est une croûte !
- C’est peut-être une croûte, mais moi il me plaît bien.
- Si tu le dis !
- C’est ce que ta mère a fait de mieux. Rien à voir avec la boite de chocolat qui lui a servi de modèle !
- Un coup de bol, insista-t-il, il faut dire que par rapport à ce qu’elle peint d’habitude…
Et il partit. Elle resta longtemps à méditer face au tableau. Bien sûr qu’il était imparfait, bien sûr qu’il y avait un manque de technique évident, mais il parlait : l’inconscient rôdait dans la forêt sombre où la petite fille vêtue de blanc semblait s’être perdue sans pourtant montrer la moindre frayeur sur son visage. Il y avait là quelque chose d’authentique, quelque chose que la mère de son mari n’avait jamais dit quand elle ressassait son enfance au fil des repas familiaux. Dans ce tableau-là, un drame se jouait, un drame qui avait été saisi rétrospectivement, dans toute la naïveté d’un pinceau novice.
Même si le tableau ne lui plaisait pas, elle le laisserait à cette place-là. Son mari finirait bien par s’y habituer.