Petit pain et feuille de chou

Publié le 18 février 2009 par Danielrondeau
Je n'avais pas vraiment faim, mais le luxe rare d'un deux-œufs-bacon seul au restaurant en ce tranquille matin de semaine était vraiment irrésistible. J'étais dans mon ancien quartier, à un jet de pierre des lignes de piquetage du journal de Montréal.
Dès mon entrée dans le restaurant, ce possible jet de pierre m'a inquiété: il n'y a QUE des journaux de Montréal partout et les rares clients les lisaient sans sembler constater l'étendue des dommages. J'ai interrogé la serveuse d'un ton faussement débonnaire:
- Ça ne vous gêne pas que votre resto continue d'offrir le journal de Montréal?
La serveuse a semblé vraiment surprise de ma question. Je lui aurait demandé la couleur de son string qu'elle aurait trouvé cela plus normal.
-Pourquoi? a-t-elle dit en soupirant.
- Ben, euh… Ils sont en lock-out là-bas… ai-je répondu en pointant du regard le bout de l'avenue Mont-Royal.
- Ouain… C'est triste pour eux.
Elle a profité du silence pour me servir une tasse d'eau brune, puis a continué sur un ton vaguement exaspéré:
- Je connais pas bien les revendications. Je sais même pas qui a raison dans tout cela.
- Mais…
- Je préfère pas m'en mêler et continuer d'offrir le journal aux clients, Monsieur (sur le ton: ducon-enculeur de mouches). C'est ce qu'ils veulent lire le matin.
Je n'ai pas insisté. Par paresse. Je sais, ce n'est pas correct. J'aurais dû lui dire que c'est justement là qu'on se trompe.
D'accord, on ne connaît pas tous les enjeux du conflit qui se déroule au journal de Montréal. Pour nous, spectateurs externes, il n'est pas très important de bien les connaître. Mais continuer à acheter le journal N'EST PAS se tenir à l'écart du conflit: c'est encourager la partie patronale qui a décrété le lock out; c'est lui dire qu'elle n'a pas besoin de négocier, que son journal continuera de se vendre quand même; c'est lui dire qu'on est prêt à ingérer n'importe quelle merde qu'elle nous imprimera; c'est lui donner des moyens financiers et du temps qu'on ne donne pas aux employés sur le trottoir. Ce conflit est un siège mutuel. L'un tente d'affamer l'autre et le premier à mourir de faim perdra.
Certains gens veulent être neutres, soit. Mais la neutralité signifie qu'on ne nourrit ni l'un ni l'autre.
Si personne n'achetait ni ne lisait le journal de Montréal pendant quelques semaines, les négociations reprendraient. En faveur de qui: je ne sais pas. Mais il y aurait reprise d'un dialogue.
Ne serait-ce pas également l'occasion pour voir ce qui s'écrit ailleurs - comme dans le Devoir, mettons?
Malheureusement, cela demande une certaine solidarité de la part de tout un chacun, un léger effort que visiblement, peu sont prêts à faire.

(Ce billet fait suite à celui de Chroniques blondes.)