Enfin chez nous, désormais, à chaque fois que je dis "dessert" dans une phrase, tout le monde se plie en deux. C'est devenu pavlovien la scène.
Mais aujourd'hui, on a pas ri comme d'habitude.
Car ils se sont moqués de moi AVANT de goûter l'affaire.
Et ça, vraiment alors ça, ça m'a offusqué le mental.
En même temps, je me flagelle à coups de persil haché séché en flacon parce que je l'ai bien cherché.
Dire que j'ai été à la limite de mettre du 4/3 en ville pour avertir la terre entière que ce soir, j'allais faire un cheese-cake, c'est un doux euphémisme. Car si j'avais habité en ville, je serais encore sur l'échelle avec le seau plein de colle.
Alors forcément, on m'attendait un peu au tournant entre le salon et le bar de la cuisine.
Oui mais moi, tout ce que je voulais, c'est introduire de la nouveauté et inciter ma couvée au plaisir de goûts exotiques qui mettraient leurs pupilles dans un état d'émoustillement avancé.
Je voulais le faire à la bien.
Ebé rends service à Bertrand, il te le rend en caguant ouais.
Alors me voilà rendue au pied du mur, duquel on le voit mieux, le mur, face à tout un tas d'ingrédients et d'autres ustensiles qui n'étaient là que pour tromper l'ennemi et surtout parce que c'était leur place depuis toujours, comme la vinaigrette, la coriandre, le plat de nouilles d'hier, le grille pain, l'évier et le reste du mobilier.
Mais à moi, on la fait pas, Mc Fly.
Je savais qu'il me fallait du mascarpone, 2 oeufs, du beurre, des sablés, du sucre, de la vanille, un moule, un four, un robot, une cuillère, un doseur et de la place.
Une fois le tri fait, c'est effectivement ce dont je disposais.
Alors j'ai vaguement regardé une vidéo avant de ne suivre strictement aucun des conseils de la dame qui a un très joli rouge à lèvres mais qui pourrait couper la sonnerie de son téléphone au montage tout de même.
Déjà, quand j'ai vu qu'elle et moi, on avait pas le même four, j'ai lâché l'affaire.
J'avais plus ou moins ce qu'elle avait dit qu'il fallait avoir.
Sauf de la crème fraîche, et à Patrick Fiori de l'épaisse, un moule en Pamela Anderson et que ma vanille liquide à moi, elle l'était depuis quelques années sur l'étagère à épice, avec juste assez de gras de cuisine pour devoir dévisser le bouchon du flacon à la dent.
Mais je savais que dans ma cuisine, avec mes ingrédients et mes notions culinaires, on pouvait se contenter d'approximatif en matière de résultat. C'est que surtout, on pouvait pas attendre autre chose.
Ce qui a été effectivement le cas.
J'ai d'abord flingué le robot en mixant les gâteaux secs.... à sec, sans y mette le beurre. Donc j'ai un peu rayé le casque du bol. Même lavé 15 fois, il a l'air dégueulasse tellement il est strié le truc.
J'ai mis le beurre, rebattu et obtenu exactement la texture d'un excrément frais.
Alors que je tentais d'étaler le tout avec le dos de la cuillère dans mon vieux moule à manqué, je m'aperçois que j'avais oublié de mettre le four en préchauffage. Et juste en bas du four, y a mon tiroir à bordel d'ustensiles encombrants dont je ne me suis encore jamais servi. Et dans lequel je trouve juste là, sous mon nez, un moule en silicone.
Je téléporte l'un dans l'autre, je tasse parce que sinon, ça donnait pas comme dans le film et je mets de côté, en équilibre sur la machine à pain, seule place de parking de libre, c'était samedi, donc pas une place de libre.
Je rince plus ou moins le bol du robot niqué et c'est parti pour l'orgie.
Le mascarpone, dont je m'aperçois au dernier moment que je n'en avais que la moitié prévue pour la recette réussie, autant dire que j'ai raclé les bords, presque j'aurais foutu l'emballage pour faire le compte.
Les 2 oeufs avec un zeste de coquille, trois fois rien, pour le fun et la routine.
Le sucre dont je ne me souvenais plus du poids et que j'ai balancé d'une main, l'autre cachant mes yeux, trop la flemme de revoir le film.
Et au moment crucial d'incorporer la crème fraîche épaisse, c'est le drame.
J'en ai pas.
Alors article 22 en vigueur, je vide une bouteille de lait dont j'ignore depuis combien de temps elle squatte dans le frigo sans s'acquitter d'un loyer.
Et j'appuie sur le bouton. Et ça hurle.
Mais surtout, ça reste aussi liquide qu'une belle diarrhée de décembre.
Et là, tout de même, je me rappelle que la dame a dit " jusqu'à ce que le mélange soit onctueux".
L'onctuosité, à moins d'attendre 15 jours à l'air libre, elle m'avait posé un lapin.
Fi je fais, une poignée de farine j'ajoute après avoir vérifié que ni caméra ni enfant ni voisin dans les parage ne se trouve qui pourrait révéler mon grand secret d'onctuosité dans le cas d'une réussite.
Après comparaison, ajustement de dernière seconde, je balance l'appareil par dessus les gâteaux broyés et j'enfourne.
Je règle 40 minutes, je me retourne commence à tenter de trouver où a pu bien disparaître mon plan de travail et voilà que ça sonne que c'est prêt.
Je recommence en mettant cette fois-ci 40 MINUTES et pas secondes et agite mon index sur mon naseau.
Et non, Samantha n'existe pas en vrai.
Alors j'ai rangé.
Jeté.
Lavé.
Et m'en suis retournée à mes paillettes de blogs, la musique à fond.
C'est sans doute une des raisons pour lesquelles je n'ai pas retiré le moule du four lorsque celui-ci me le sonnait prestement.
Heureusement que j'ai des enfants.
Heureusement que de temps en temps, les enfants, ça a faim.
Heureusement que dans ma cuisine, j'ai des placards remplis de tout ce qui peut combler un enfant.
Heureusement que mes enfants savent ça et se font des petites séances de pillage.
Heureusement qu'ils passent inévitablement devant le four, pour casser les placards.
Heureusement qu'à ce moment-là, le four a sonné.
"Maman, c'est quoi qui sonne?
-How can we dance while our earth is turning?
-MAMAN C'EST QUOI QUI SONNE?
-How can we sleep while our beds are burning?
-MAMAN LE GÂTEAU BRÛLE.
-Tu pouvais pas me le dire avant?
-Non, parce qu'avant il brûlait pas le gâteau."
Donc je me suis assise sur le fond du truc qui était sensé être solide grâce au tapis de gâteau brisé, puisque celui-ci est resté collé au fond du moule qui lui-même a un peu morflé, encore du silicone coupé au PVC, la drogue, c'est plus ce que c'était.
Et le reste de la famille s'est également assis sur ses chaises de bureau respectives dès le dernier grain de riz achevé, prétextant un dîner tellement parfait que plus de place pour le dessert, les devoirs à faire, un caca urgent ou encore le plaisir de grignoter devant la télé plus tard, genre l'an prochain chez mamie.
Je note tout de même qu'à leur décharge, le résultat était parfaitement infect, insipide et caoutchouteux à souhaits.
Entre le clafoutis à rien et le gâteau de farine, les deux étant lamentablement foirés.
Alors qu'en général, je beugle que je m'en tape, que tant mieux, qu'au moins, ça m'en fera plus pour moi, qu'ils sauront jamais que leur mère aurait pu accdéder aux portes de la gloire s'ils l'avaient un peu soutenue, là, je me suis claqué le museau, suis allée jeter le tout dans la poubelle, l'ai recouvert de feuilles de salade, de sopalin et ai déposé l'assiette vide, avec un peu de gâteaux secs morts et abandonnés sur mon bureau, genre j'ai tout bouffé tellement c'était trop de la boulette mon cheese-cake. Et là, c'est moi qui souris.