La Blanquita

Publié le 24 février 2009 par Alainlecomte

De retour à Puerto Natales, après la virée chilienne dans le Parc de Torres del Paine, nous descendîmes à l’hôtel que Y. nous avait indiqué : la pension Blanquita, au bout de la calle Esmeralda. La maison avait une façade de bois peinte en blanc et le toit habituel, fait de tôle ondulée. Elle était proche du terrain de camping où nous avions rencontré, à l’aller, un couple de motards japonais qui effectuait le tour du monde, ayant déjà traversé la Sibérie, puis l’Europe, et qui descendait maintenant le cône fin de l’Amérique du sud en direction d’Ushuaïa. A deux cuadras, on pouvait trouver un bistrot faisant l’angle (autrement dit « la Esquina ») et un autre hôtel, rose celui-ci, portant le nom de « casa Teresa ». En suivant la rue principale, qui était elle aussi à deux cuadras, mais dans la direction perpendiculaire, on tombait sur le quai, au bord du fjord Ultima Esperanza, avec sa grande bâtisse jaune, dont j’ai déjà parlé, et qui a dû être autrefois le fameux « hôtel colonial » dont parle Bruce Chatwin, et juste à côté le petit restaurant de Los Pioneros, dont j’ai aussi déjà parlé, avec sa patronne fière de son fils (lequel était devenu historien et auteur de ce best-seller, vendu à au moins deux personnes, Lula et moi, et qui trônait sur le comptoir, contant ce que fut, dans les années vingt, une authentique révolution magellanienne), et sa jeune serveuse aux yeux mélancoliques, à qui, le dernier soir, j’omis de remettre le pourboire symbolique mais indispensable, alors qu’elle le méritait tant (mais je réparai en demandant à Y. de lui remettre, la fois suivante où il viendrait, un bon billet de pesos chilenos).

La pension Blanquita était tenue par une femme forte et énergique, dotée d’une voix ayant des stridences modulées. Son accueil commençait par un cri de joie et d’étonnement, sa face s’illuminait, comme transfigurée qu’elle était par l’arrivée de voyageurs, et qui plus est, de voyageurs qui lui étaient recommandés par quelqu’un qu’elle connaissait – vous vous rendez compte, los padres de Y ! – Si elle ne s’était retenue, sans doute vous aurait-elle pris dans ses bras en vous broyant le torse, Què merveille ! Elle avait aussi un mari, une fille, probablement un gendre, car aussi des petits enfants quijouaient dans l’escalier : c’était encore les vacances scolaires. Les chambres de la pension sont paraît-il toutes différentes et dans des couleurs pimpantes : nous héritâmes de la bleue d’outremer, avec le matrimonio. La fenêtre donnait sur les terrains vagues environnants, qui allaient jusqu’au fjord, qu’on devinait au loin, d’un bleu turquoise : aussitôt je pris mes pinceaux, mon carnet et, bien au chaud, je dessinai ce paysage sur lequel passait un vent froid, de solitude, sur des hangars et des maisons bariolés.

Le car, le lendemain, pour El Calafate, partait à sept heures. Mais Blanquita veillait : nous pouvions avoir le petit déjeuner avant de partir, et faire couler à nouveau le dulce de leche sur les croutons chauds sortis du gril.