Ce matin quelques retards et la rame, à son arrivée en gare, paraissait déjà surpeuplée. Un coup d'œil expert me permis d'envisager d'évaluer le nombre de places restantes. Je suis montée une des premières dans le wagon et ai gravi quatre à quatre les marches en scrutant fébrilement les quelques places libres qui pouvaient encore m’accueillir.
Ouf ! Assise ! Je pose mon sac sur les genoux et l’ouvre rapidement m’apprêtant à lire une histoire très amusante Le diable s’habille en Prada.
Je farfouille dans mon cabas…
Flûte, j’ai oublié mon livre !
En soupirant, je lève mon nez sur les jeunes filles qui demeurent debout dans l’allée où s’aligne à présent une population hétérogène. Elles m’offrent fièrement leur ventre nu, dégagé par la taille basse de leur pantalon. Et alors? C'est tendance! Certes, mais que dévoile cette taille basse? Un ventre rond et gras! Le même que le mien!
Combien de fois ai-je regardé avec mépris et désolation ces rondeurs accrochées à mes hanches ? Combien de fois ai-je retenu ma respiration afin de rentrer ce ventre trop rond ? Combien de fois ai-je combattu ma gourmandise afin d’être raisonnable en refusant un gâteau qui frétillait sous mon nez et se réjouissait de pouvoir se loger si gentiment, si rapidement dans mes fesses ? Combien de fois ai-je culpabilisé après avoir craqué devant un bol de cacahuètes chez mes amis Pierre et Lola ?
Chaque jour, la tyrannie de la minceur accentue les rondeurs de chacune d’entre nous. Soumission de tous les instants !
Parfois, je boycotte.
Aussi, je refuse de me soumettre à cette dictature en dévorant enfin, et plus seulement des yeux, la gourmandise convoitée. Me voilà alors soumise à une nouvelle tyrannie, la culpabilité. Ah ! Je m’en veux d’avoir craquer sur cet apéritif saucisson-olives-guacamole ! Mais c’était si bon, impossible de résister, et puis j’ai tellement envie de ne pas résister.
Depuis presque quinze ans, je vis en enviant les femmes du dix-huitième siècle. Pulpeuses, généreuses et sensuelles, elles savaient si bien séduire les hommes avec leurs formes rondes et leurs fesses molles.
Tant bien que mal, je réussis à limiter les dégâts mais le ventre rond résiste, la finesse de la taille oubliée, les poignées d’amour coriaces. Je me raisonne, j'accepte enfin…jusqu'à la prochaine lecture d'un magazine féminin dans lequel des femmes filiformes s’exhibent sans complexe. La culpabilité m’étreint à nouveau l’estomac et le désir de suivre un régime me taraude à nouveau.
Demain j'arrête les magazines!... Sevrage draconien de photos de modèles.
Aujourd’hui, j’aperçois un espoir… Une lueur de changement !
Un régime miracle ? Une fonte des graisses annoncée ?
Pas du tout ! Que vois-je sous mes yeux depuis quelques minutes ? Une peau jeune, dorée par le soleil d’été. En ce début de septembre encore chaud, elle s'expose fièrement au dessous d’un tee-shirt court, encadrée par des poignées d’amour qui débordent au dessus de leur ceinture clinquante. J’admire alors ces ventres ronds, modèle peau de bébé, qualité velours, moelleux et tendres qui ballottent au rythme du train. Aucun scrupule, aucun complexe, aucune pudeur !
Serait-ce l’amorce de la fin de la tyrannie, la libération !!
C’est vrai, cet été les ventres ronds et mous (car point d’abdominaux fermes à l’horizon), avaient fleuri dans les rues de Paris. Au bout de quelques semaines, j’en voyais partout. Le phénomène, que j’avais cru marginal, devenait récurrent. Comment n’y avais-je pas prêté attention ?
Aujourd’hui, sous mon nez, je ne peux plus me voiler la face. Serait-ce tendance ? Mille fois oui.
Pourquoi les anorexiques s’évertuent à se prélasser des les magazines?
A quand un défilé de mode avec ventres ronds et poignées d’amour ?